Agentivité et jeux vidéo historiques : alliés naturels ?
24 Mars 2016 - 9:01am
Dans un billet précédent, je discutais de l’importance de prendre en compte l’histoire profane dans l’enseignement de l’histoire et par extension, l’apport potentiel de la pensée historienne comme outil pour développer une critique de ces versions populaires de l’histoire. Je faisais ainsi écho, entre autres, aux différents billets de Vincent Boutonnet qui traitaient du cinéma et des jeux vidéo (ici et ici). Je propose, dans ce billet, d’approfondir la réflexion sur les jeux vidéo historiques en présentant sommairement des éléments de ma thèse doctorale (toujours en cours) : l’agentivité historique, les raisons qui expliquent le choix d’Assassin’s Creed et un aperçu du devis de recherche.
Agenti … quoi ?
L’agentivité historique se définit comme la capacité d’un agent à influencer (ou non) le cours de l’histoire. Dans le monde scolaire, il est souhaitable que les élèves développent une bonne compréhension de ce concept. D’une part, cela permet envisager le changement historique dans toute sa complexité. D’autre part, dans une optique d’éducation citoyenne, mieux comprendre l’agentivité peut aider les élèves à croire à la pertinence de s’investir dans sa société (Barton, 2012). Or, la recherche tend à démontrer que quatre obstacles freinent la compréhension de l’agentivité chez les élèves. En effet, les élèves font (1) généralement preuve d’une compréhension décontextualisée des actions des agents, ce qui les pousse à considérer que les agents sont uniquement de (2) grands personnages (personalization) qui par leur charisme hors du commun ou leur (3) état émotif particulier (mentalization) sont en mesure de changer l’histoire. Cela entraine aussi (4) une confusion entre les structures – perçues comme responsable du changement – et les individus qui les composent (Barton, 1997; Halldén, 1997, 1998; Lee, Dickinson, & Ashby, 1997). À cet égard, il semble que les manuels, notamment ceux du Québec, encouragent cette vision de l’agentivité (Éthier, Lefrançois, & Demers, 2013; Lefrançois, Éthier, Demers, & Fink, 2014). De cet état de fait, j’ai cherché à voir si d’autres objets historiques (scolaire ou non) pourraient contribuer à une meilleure compréhension du concept d’agentivité.
Les jeux vidéo historiques ce sont rapidement imposés comme une avenue intéressante. En effet, lorsque le joueur s’investit dans une simulation historique, il s’engage dans un processus « actif » où il est amené à « changer » l’histoire ou du moins à influencer la narration du jeu (en théorie). De ce constat, je me suis demandé si un jeu comme Assassin’s Creed pouvait aider un joueur à mieux comprendre le concept d’agentivité historique. Une question se pose toutefois : pourquoi avoir choisi cette série en particulier ?
Le choix d’Assassin’s Creed
La série Assassin’s Creed se compose de neuf opus principaux auxquels s’ajoutent divers jeux secondaires et contenus additionnels qui étoffent la narration principale. Un rapide examen montre que ces neuf jeux recoupent plusieurs réalités sociales au cœur du programme de formation de l’école québécoise (voir le tableau ci-dessous).
Titre | Période historique | Réalités sociales du PFÉQ |
Assassin’s Creed | Moyen Âge (troisième croisade) | La christianisation de l’occident |
Assassin’s Creed II Assassin’s Creed Brotherhood Assassin’s Creed Revelations |
Renaissance (règne des Borgia en Italie) | Le renouvèlement de la vision de l’homme |
Assassin’s Creed III Assassin’s Creed IV Black Flag Assassin’s Creed Rogue |
Ère coloniale (guerre de révolution américaine, piraterie du XVIIIe siècle, guerre de Sept Ans) |
Les révolutions américaines et françaises, l’expansion européenne dans le monde, le changement d’empire |
Assassin’s Creed : Unity | Révolution française | Les révolutions américaines et françaises |
Assassin’s Creed Syndicate | Angleterre victorienne | L’industrialisation : une révolution économique et sociale |
De plus, il présente une fiction historique « réaliste » - dans la mesure où le décor, les objets et autres éléments empruntés au passé sont véridiques – d’où la fantaisie est (quasi) absente. En effet, deux récits se côtoient, le premier se déroulant « aujourd’hui », alors que le deuxième est fermement ancré dans une des diverses réalités historiques dépeintes (la renaissance italienne, la guerre d’indépendance américaine, etc.). De ces constats, j’ai élaboré un devis de recherche que je présente en conclusion de ce billet
Devis de recherche et conclusion
J’envisage d’analyser les scénarios des neuf opus principaux de la série Assassin’s Creed. Afin, de réduire le corpus je ne retiendrai que le récit historique que proposent ces jeux. C’est par une analyse de contenu, dite thématique, qui cherche à faire émerger tout autant le contenu manifeste que latent (L'Écuyer, 1988)que je tenterai d’apporter des éléments de réponses aux trois questions qui animent ma recherche.
1. Quelle place est faite à l’agentivité historique dans Assassin’s Creed ?
2. Quels est/sont le/les type(s) d’agentivité que l’on retrouve dans la série ?
3. Assassin’s Creed pourrait-il jouer un rôle dans une meilleure compréhension de l’agenvitié pour des apprenants ?
À terme, j’espère pouvoir formuler des recommandations qui éclaireront l’usage possible de ces jeux et qui pourront guider les enseignants dans leur exploration des jeux vidéo historiques pour la classe d’histoire.
Dans mon prochain (et ultime!) billet je réfléchirai à l’apport de THEN/HiER dans ma formation de jeune chercheur.
Références
Barton, K. C. (1997). “Bossed around by the queen”: Elementary students’ understanding of individuals and institutions in history. Journal of Curriculum and Supervision, 12(4), 290-314.
Barton, K. C. (2012). Agency, Choice and Historical Action: How history teaching can help students think about democratic decision making. Citizenship Teaching & Learning, 7(2), 131-142.
Éthier, M.-A., Lefrançois, D., & Demers, S. (2013). An analysis of historical agency in Québec history textbooks. Education, citizenship and social justice, 8(2), 119-133.
Halldén, O. (1997). Conceptual change and the learning of history. Internation Journal of Educational Research, 27(3), 185-265.
Halldén, O. (1998). Personalization in Historical Descriptions and Explanations. Learning and Instruction, 8(2), 131-139.
L'Écuyer, R. (1988). L'analyse de contenu: notion et étapes. In J.-P. Deslauries (Ed.), Les méthodes de la recherche qualitative (pp. 49-65). Québec, Canada: Presses de l'Université du Québec.
Lee, P., Dickinson, A., & Ashby, R. (1997). "Just another emperor": understanding action in the past. Internation Journal of Educational Research, 27(3), 233-244.
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