Silence, ça tourne ou comment tourner l’usage d’un film à son avantage…
16 December 2013 - 1:59pm
Je me suis récemment intéressé à l’usage du film (de fiction ou documentaire) en classe d’histoire. Combien de fois avons-nous visionné un film lorsque nous étions élèves ? Parfois pour passer le temps, pour nous récompenser ou parce que les vacances étaient imminentes, mais peut-il en être autrement ? Est-ce que le film en classe peut servir à autre chose ? Je suis loin d’être le seul à poser cette question ! En fait, de nombreuses ressources proposent d’utiliser le film comme déclencheur de débat, d’interprétation et de critique1. En bref, tout ce qu’il faut pour exercer des habiletés liées à la pensée historique. Je me suis donc lancé dans l’arène avec un film québécois de Pierre Falardeau (2001) : 15 février 1839.
Plus qu’une date, c’est aussi un symbole de la lutte des patriotes qui culmina par la pendaison d’une douzaine de prisonniers dont cinq pendant cette froide journée de février. Pierre Falardeau en est le réalisateur. On se passera de le présenter au Québec, mais peut-être sa fougue proverbialement souverainiste doit être ici remarquée avant tout. Vous comprendrez donc qu’avec une date aussi symbolique et un réalisateur aussi engagé, le choix du film était peut-être hasardeux… Comment utiliser un film historique qui était potentiellement biaisé, peu véridique, altéré, dilué, extrémiste, patriotique, souverainiste, etc. ?
Plusieurs visionnements après, le nez dans les lettres des différents prisonniers dépeints par le film, quelques articles d’historiens savants, à l’affut des commentaires croustillants du public ou de la critique et à l’écoute des commentaires du réalisateur (en bonus sur le dvd), mon choix était finalement loin d’être hasardeux !!! Au contraire, c’est probablement une des ressources les plus pertinentes qui rencontrent bien des objectifs de formation de la pensée historique. Je m’explique.
J’ai proposé à mes étudiants une sélection des extraits du film, les commentaires du public (sur cinemanmontreal.com), la critique cinématographique (avec ou sans entrevue du réalisateur), les lettres des prisonniers relatant leurs expériences, des extraits de monographies, l’écoute de certains commentaires du réalisateur et la comparaison des dernières quinze minutes d’un autre film portant sur le même sujet (Michel Brault, Quand je serai parti… vous vivrez encore, 1999).
Ce qui est fascinant est la richesse des ressources disponibles autour d’un seul et même film. Si le réalisateur est ouvertement souverainiste, les choix qu’il explique dans ses commentaires sont forts éclairants et permettent effectivement de penser le film historique comme une interprétation qu’il convient d’examiner. Les réactions du public autant élogieuses que négatives mettent en perspective la réception du film et continuent d’alimenter la réflexion autour du film. Les sources premières soutiennent une très grande partie du film, qui après tout est rigoureusement historique. Et c’est là que tout devient lumineux. Ce film décrié ou louangé pour son souverainisme évident est pourtant véridique sur bien des points. Cela dit, aussi véridique soit-il, je n’ai pas utilisé le film comme moyen de transmission, mais bien comme objet d’interprétation.
Pourquoi le réalisateur a-t-il fait ce choix ? Pourquoi le public a aimé le film ? Ou a décrié le film ? Comment le réalisateur a défendu son film ? Qu’est-ce qu’un patriote ? Pourrait-on réécrire le scénario ? Est-ce que les personnages étaient bien représentés ? Comment les historiens abordent cet évènement ? Comment les prisonniers ont décrit cet évènement ? Finalement autant de questions qui éclairent un évènement de mille façons, mais surtout justifie notre intérêt pour le savoir historique : comment est-il construit ? Interprété ? Utilisé pour des fins partisanes ?
L’histoire est donc plus qu’une simple date, 15 février 1839, c’est aussi la rencontre du passé, du présent et du futur. Utiliser un film d’histoire en classe c’est manifester une conscience historique avancée ! Alors n’ayez pas peur de (dé)tourner le film à votre manière.
Références suggérées:
1. Voir entre autres : Briand, D. (2010). Enseigner l'histoire avec le cinéma. Caen: CRDP de Basse-Normandie; Marcus, A. S., Metzger, S. A., Paxton, R. J., & Stoddard, J. D. (2010). Teaching History With Film. Strategies For Secondary Social Studies. New York: Routledge; Russell, W. (2012). The Art of Teaching Social Studies with Film. The Clearing House: A Journal of Educational Strategies, Issues and Ideas, 85 (4), 157-164; Seixas, P. (1994). Confronting the Moral Frames of Popular Film: Young People Respond to Historical Revisionism. American Journal of Education, 102, 261-285.
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