Établir un lien avec l’histoire (Anna Clark)
En 2003, alors étudiante à la Melbourne University, j’avais suivi un séminaire donné par Elizabeth Elbourne, une historienne canadienne invitée. Elle avait relaté un épisode de violence coloniale sur une ferme australienne appartenant au révérend Thomas Hassall et avait qualifié cet épisode comme étant emblématique de la colonisation : une vieille Autochtone et deux fillettes étaient mortes, mais personne n’avait été poursuivi. Ce n’était certes pas un exemple isolé de conflit racial : au début du 19e siècle, au moment de la colonisation européenne, les populations autochtones étaient fréquemment déplacées vers la zone à l’ouest de Sydney; le bétail, les gardiens de huttes et les bergers étaient tour à tour victimes de représailles de la part des propriétaires terriens.
Le nom Hassall me disait quelque chose. Une vieille famille du côté paternel, les Hassall étaient des propriétaires terriens et des missionnaires établis dans la région de la Nouvelle-Galles-du-Sud au début du 19e siècle. Ce crime aurait été commis sur une terre appartenant à ma famille. Pourtant, cette histoire ne nous avait jamais été transmise.
J’étais curieuse et, lors de mon séjour subséquent à Sydney, je me suis précipitée à la bibliothèque nationale pour tenter désespérément d’en apprendre plus sur cette affaire. J’étais obsédée. À la recherche de toute bribe d’information que je pouvais dénicher, j’ai fouillé les journaux et les archives coloniales de l’époque afin de résoudre l’énigme de cette petite histoire familiale qui pourtant en disait si long sur l’histoire australienne.
Ce faisant, je me suis intéressée à la question du lien historique et à ce que cela représente, dans nos communautés, d’établir un lien avec l’histoire. D’un côté, nous avons un profond intérêt envers l’histoire : toute visite à une bibliothèque locale ou à des archives publiques nous permet d’apercevoir des personnes vivement intéressées par l’histoire de leur famille et de leur communauté. « Quelles sont mes origines ? », se demandent-elles. « Quelle est mon histoire? » De l’autre côté par contre, nous angoissons sur le fait que nous ne connaissons pas assez notre passé, que l’avenir de nos nations est mis en péril, car nous ignorons l’histoire dès l’école et dans notre vie citoyenne.
D’ailleurs, la une des journaux est bourrée de clichés sur les résultats « décevants » d’examens ou sur le niveau « dangereux » de nos connaissances. Cependant, selon le pédagogue canadien de l’histoire Alan Sears, tant que le discours de « crise » dominera les débats publics sur le passé, toute discussion sérieuse sur nos liens avec l’histoire demeurera à l’arrière-plan.
Dans mon projet de recherche, j’utilise des entrevues réalisées dans des communautés situées sur l’ensemble du territoire pour étudier la conscience historique en Australie. Pour tenter de cerner le lien (et le manque de lien) avec l’histoire, j’ai rencontré une centaine de personnes de cinq communautés très variées afin d’étudier leur attitude envers l’histoire. Je veux examiner le paradoxe suivant de conscience historique : malgré l’angoisse du débat sur le « récit » national, l’intérêt personnel envers l’histoire semble plus grand que jamais.
Tout comme je ressentais une grande urgence à faire une incursion dans le passé colonial de ma famille, la population ressent elle aussi un lien avec son histoire nationale lorsqu’elle peut situer ses récits personnels ou familiaux à l’intérieur ou tout près du grand récit national. Wai, une répondante du lointain nord-ouest de l’Australie, nous a dit dans son entrevue : « Lorsque tu peux faire un lien personnel avec l’histoire, elle acquiert plus de sens que lorsque tu lis dans un livre que le capitaine Cook a découvert l’Australie ». J’en suis au tout début de la rédaction, mais j’espère pouvoir apporter un peu de lumière sur les éléments qui nous relient à nos histoires nationales et la manière dont cela se fait.
Mes publications incluent The History Wars (Melbourne University Publishing, 2003), que j’ai corédigée avec Stuart Macintyre, Teaching the Nation (Melbourne University Publishing, 2006) et History’s Children: History Wars in the Classroom (University of New South Wales Press, 2008). J’ai aussi écrit deux livres d’histoire pour enfants : Convicted! The Unwonderful World of Kids, Crims and Other Convict Capers (Chirpy Bird, 2005) et Explored! The Unglorious World of Burke and Wills, Rotten Food and Getting Lost (Hardie Grant Egmont, 2008).
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