Mes passions de recherche (Margaret Conrad)
Comme ce fut le cas pour plusieurs femmes de ma génération, ma carrière en histoire a été le fruit du hasard. Un seul de mes professeurs d’université était une femme (elle enseignait le français); je n’aurais donc jamais pensé occuper un tel poste. En 1968, à l’obtention de ma maîtrise en histoire de la University of Toronto, je suis entrée sur le marché du travail comme éditrice chez Clarke Irwin. À cette époque, le monde universitaire vivait une progression fulgurante et, à l’été 1969, on m’a demandé d’enseigner l’histoire à Acadia University où j’avais obtenu mon baccalauréat. La première session fut assez difficile. J’étais chargée d’enseigner à de grands groupes l’histoire du Canada, de la civilisation occidentale, de l’Empire britannique et du Commonwealth. Par contre, j’ai découvert que j’avais un talent pour l’enseignement. Je me suis rapidement investie dans deux sujets de recherche passionnants : l’histoire du Canada atlantique et les études féminines, des domaines de recherche qui se sont développés grâce à des mouvements politiques auxquels j’ai fortement adhéré.
Ces recherches étaient particulièrement pertinentes pour les jeunes chercheurs que nous étions et qui étaient engagés dans ce qui s’appelait alors « la nouvelle histoire sociale ». Elles ont aussi souvent suscité un vif intérêt auprès de la population. Une collaboration a mené à la publication (avec Toni Laidlaw et Donna Smyth) de No Place Like Home: The Diaries and Letters of Nova Scotia Women, 1771-1938 (Formac, 1988), qui s’est vendu à plus de 8000 exemplaires, un succès de librairie au Canada. Comme chercheuse ayant de l’expérience en édition, j’ai cofondé en 1975 Atlantis, une revue scientifique couvrant la nouvelle recherche interdisciplinaire sur les femmes. L’approche collaborative qui est typique des études féminines a été reprise par les spécialistes du Canada atlantique qui ont fondé la revue Acadiensis en 1971. Étant donné que les revues bien établies semblaient dédaigner l’histoire « régionale », Acadiensis et Acadiensis Press sont devenus les principaux débouchés de mes recherches sur l’économie politique de la vallée d’Annapolis et les caricaturistes politiques. Ils ont aussi publié plusieurs collections d’articles sur les planters de la Nouvelle-Angleterre, un groupe de 8000 immigrants qui ont été oubliés, mais qui ont colonisé les Maritimes avant la Révolution américaine.
Au début des années 1990, je tenais à ce que les nouvelles recherches universitaires sur les femmes et le Canada atlantique soient intégrées dans les ouvrages universitaires. Si on inclut les différentes éditions de History of the Canadian Peoples (avec Alvin Finkel puis Donald Fyson), j’ai rédigé avec des collaborateurs 16 versions de l’histoire du Canada, un témoignage évident, s’il en est besoin, que l’histoire est un récit en mouvance constante. La parution en 2012 de A Concise History of Canada (Cambridge University Press) est le point culminant de ma carrière d’auteure de manuels scolaires qui comprend aussi trois éditions de Atlantic Canada: A History (Oxford University Press) rédigées avec James Hiller.
Lorsque je suis devenue titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études sur le Canada atlantique à la University of New Brunswick (UNB) en 2002, mes recherches ont pris un virage important. Une partie du financement a servi à la création du collectif Les Canadiens et leurs passés (dont le chercheur principal est Jocelyn Létourneau) qui a obtenu du financement du CRSHC pour mener une enquête sur la façon dont les Canadiens utilisent leur bagage historique dans leur quotidien. Un livre tiré de cette recherche sera publié sous peu par University of Toronto Press. Mon travail avec des techniciens de l’Electronic Text Centre (UNB) et de nombreux étudiants visait pour sa part à explorer le potentiel de l’informatique en sciences humaines à travers le Portail du Canada atlantique et des Archives virtuelles du Canada atlantique.
Cette chevauchée extraordinaire menée avec deux immenses sujets de recherche a été passionnante, mais exténuante. J’ai donc décidé en 2009 de prendre une retraite anticipée afin de me consacrer à l’écriture. Je travaille présentement sur une histoire de la Nouvelle-Écosse et je collabore à un autre projet d’informatique en sciences humaines, soit une étude comparative des vocabulaires de l’identité dans le Nouveau-Brunswick anglophone et francophone.
Vous aurez constaté à la lecture de cet aperçu que les historiens n’arrêtent jamais de faire de la recherche, ils trouvent simplement des nouveaux projets qui les inspirent.
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