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L’évaluation des apprentissages en classe d’histoire : quelle évaluation pour quels apprentissages?

Posted by Catherine Déry
2 February 2015 - 3:22pm

Cycliquement, la qualité de l’enseignement de l’histoire est remise en cause. À titre d’exemple récent au Québec, la Coalition pour l’histoire a dénoncé le piètre enseignement de l’histoire politique. Raphaël Gani traite de ce sujet dans son dernier billet. Aux États-Unis, différents groupes et différents rapports remontant jusqu’à 1917 réaffirment le même constat : les jeunes ne connaissent pas l’histoire. Pour Wineburg (2001), ce constat est d’une étonnante stabilité considérant les changements de contextes dans lesquels il s’ancre. Or, plutôt que de se demander ou de chercher à montrer ce que les enfants ne savent pas en histoire, Wineburg (2001) pose les questions suivantes : que connaissent les élèves à propos du passé? En dehors des enseignants et des manuels, qu’est-ce qui contribue à leur compréhension? Comment les élèves situent-ils leur histoire individuelle dans le contexte de l’histoire nationale et internationale? (p.viii). Deux questions sont soulevées par cette réflexion : qu’est-ce qui est mesuré dans les évaluations actuelles en histoire et comment cela est-il mesuré?

L’évaluation fait partie intégrante de notre système scolaire. En histoire, elle se porte garante du savoir historique qui est supposé être maitrisé par les élèves à la fin de leur parcours scolaire. Pourtant, lorsque j’ai eu à préparer des exercices, des quiz, des examens et des projets et que j’ai eu à leur attribuer des notes, des cotes ainsi que des commentaires, je suis restée perplexe quant à ce que ces différentes évaluations mesuraient vraiment. Quelle évaluation doit être faite pour quels apprentissages? Est-ce que la réussite à une épreuve est réellement garante de la maitrise d’une matière? Quels apprentissages restent? Quelles habiletés avantagent ceux qui reçoivent les meilleures notes?

VanSledright (2013) s’est intéressé à ces questions. L’auteur commence le livre en faisant répondre le lecteur à douze questions à choix de réponse tirées des tests d’histoire pour le secondaire Standards of Learning de l’État de Virginie. À titre d’exemple : An important part of President Woodrow Wilson’s Fourteen Points was that a) A League of Nations was to be created; b) Germany had to surrender all its colonies; c) Reparation for war damages had to be paid to the Allies; d) The German Navy and Air Force had to give up the fight. Réponse: a) (p.1).Ces questions à choix de réponse lui servent d’exemple pour illustrer le fait que les pratiques évaluatives standardisées ancrées aux États-Unis n’évaluent généralement que les connaissances de premier ordre (connaissances factuelles). De plus, VanSledright (2013) précise que ces tests, omniprésents et servant de condition (parmi d’autres) pour diplômer ou non un élève, évaluent d’abord la capacité d’un élève à distinguer une réponse correcte parmi des réponses incorrectes plutôt que sa capacité à comprendre et à penser en histoire. Tester la capacité à reconnaître et à se rappeler des termes historiques, des noms de personnages, des dates et des évènements ne montre pas qu’un élève a développé tous les niveaux de savoir qui permettent une compréhension approfondie de l’histoire. Un enseignement de l’histoire axé sur le développement de la pensée historique ne peut pas être supporté par des évaluations et une mesure de l’apprentissage basées sur la dichotomie correct/incorrect, ce qui rend le processus évaluatif beaucoup plus complexe. Cette approche n’est donc pas attrayante pour ceux qui décident des politiques d’évaluation standardisées.

Un nombre grandissant de travaux sont proposés sur l’évaluation en histoire et tentent de répondre à la fois à la complexité de l’évaluation de la pensée, alliant une application (plus qu’une simple rétention) du contenu factuel à l’utilisation de procédures propres à la discipline historique, ainsi qu’aux contraintes organisationnelles de la classe d’histoire. Une façon de faire est d’encourager la production d’un texte contenant une interprétation historique qui répond à une question à l’aide de multiples sources (document-based questions). VanSledright (2013) propose d’ailleurs dans son livre une grille intéressante pour l’évaluation de telles questions (voir pièce jointe). Par contre, ce type de question demande une certaine maitrise des habiletés en lecture et en écriture, alors que beaucoup d’enseignants peuvent témoigner des difficultés des élèves dans ces domaines. Différents auteurs ont tenté de remédier à ce problème. Les exercices proposés par Seixas et Morton (2013) ciblent les six piliers de la pensée historique et décomposent les habiletés propres à l’exercice de ce mode de pensée. Aux États-Unis, l’équipe derrière le site web Beyond the Bubble, dirigée par Wineburg, Smith et Breakstone, propose des évaluations formatives réalisables en quelques minutes afin de travailler différents aspects de la pensée historique. Ces Historical Assessments of Thinking (HATs) permettent aux enseignants d’évaluer la pensée des élèves en travaillant une ou deux sources à la fois. Ces deux types d’exercices permettent de surmonter les difficultés des élèves en lecture et en écriture parce qu’ils ne les placent pas au centre du processus d’évaluation (bien qu’ils restent importants). Ce genre d’exercice évaluera directement la capacité de l’élève à analyser la source, à la corroborer et à la contextualiser ou sa capacité à en déceler des éléments de continuité et de changements, à en établir sa temporalité ou à l’ériger en preuve pour répondre à une question historique.

Par ce billet, j’ai cherché à soulever bon nombre de questions qui me taraudent depuis le début de ma courte carrière en enseignement. Il est particulièrement difficile d’y répondre bien que j’aie tenté de faire un rapide survol en mentionnant des auteurs lus et relus. Finalement, je ne peux m’empêcher de placer dans ma liste de références le nouveau collectif d’Ercikan et Seixas qui paraitra en mars prochain et qui, me semble-t-il, contiendra des réponses aux nombreuses questions soulevées par ce billet.

Ercikan, K. et Seixas, P. (dir.). (sous presse). New directions in assessing historical thinking. New York, États-Unis: Routledge.

Seixas, P. et Morton, J. (2013). Les six concepts de la pensée historique. Montréal, Canada : Modulo.

VanSledright, B.A. (2013). Assessing historical thinking & understanding, innovative design for new standards. New York, États-Unis: Routledge.

Wineburg, S. (2001). Historical thinking and other unnatural acts, charting the future of teaching the past. Philadelphie, États-Unis: Temple University Press.

Wineburg, S., Smith, M. et Breakstone, J. (s.d.). Beyond the Bubble. A new generation of history assessments. http://beyondthebubble.stanford.edu/assessments

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