L’univers physique et mental : le rapport historique de la recherche et des chercheurs autochtones (Michael Marker)
Mon travail en histoire de l’éducation se dessine comme un voyage en canot dans le temps et l’espace des Salish de la côte. Dans les cosmologies salish, il importe de visiter régulièrement les sites d’où émanent les grands récits porteurs de sens culturels et mythiques. Les voyageurs se rendant aux sites anciens afin d’y redécouvrir un passé animé par les rochers, les montagnes, les glaciers et les autres références importantes de leur monde visitaient également les villages où ils participaient à des cérémonies qui fournissaient des références anciennes aux changements apportés au paysage et aux ressources, comme les sites de pêche et de cueillette. J’ai voyagé partout dans la région sans limites frontalières des Salish de la côte. J’y ai écouté ce que les Autochtones avaient à dire sur l’éducation – au sens large – tout en essayant d’analyser le discours de la société colonisatrice et ses interprétations de l’histoire de la colonisation des peuples autochtones. J’ai porté une grande attention à la réalité des pensionnats et aux conditions dans les établissements d’enseignement supérieur, mais j’ai aussi ressenti le besoin d’écrire sur les méthodologies de recherche afin de trouver un sens au passé dans une perspective transculturelle.
À maints égards, mon attention s’est portée davantage sur les sociétés colonisatrices non autochtones que sur les peuples et les communautés autochtones. Comme chercheur autochtone, j’ai eu plus d’intérêt envers les « Autres qui font de nous les Autres ». À partir de valeurs et d’interprétations autochtones, j’ai tenté d’examiner les discours et les pratiques pédagogiques conventionnelles. En ce moment, j’étudie la nature de la recherche dans une perspective autochtone. En d’autres mots, je fouille la « culture de recherche » et les caractéristiques de l’histoire de la recherche et des chercheurs dans la région des Salish de la côte. Quelles sont les conversations qui s’établissent entre les chercheurs et les populations autochtones ? Quelles sont les conversations qui font défaut? Quelles sont les valeurs, les croyances et les approches des chercheurs qui démontrent souvent beaucoup d’enthousiasme à l’idée de s’aventurer dans une communauté autochtone pour parler aux Anciens, mais qui négligent ensuite de consulter le travail des scientifiques autochtones qui sont titulaires de Ph. D. et qui pourraient remettre sérieusement en question leurs interprétations, leurs buts et leurs aspirations? Le titre d’un de mes meilleurs articles est d’ailleurs révélateur : « Indigenous Voice, Community, and Epistemic Violence: The Ethnographer’s”Interests” and What “Interests” the Ethnographer. » J’ai choisi de situer mes recherches dans les interstices de l’anthropologie et de l’histoire afin d’acquérir de chaque domaine des aptitudes à expliciter la culture et le changement pédagogique.
Ces questions ne m’appartiennent pas en exclusivité. Elles s’intègrent dans une longue liste de critiques et de griefs émis par les chercheurs autochtones en milieu universitaire, à commencer par le célèbre chapitre de Vine Deloria, « Anthropologists and Other Friends », tiré de son livre emblématique et iconoclaste Custer Died For Your Sins. Quant au chercheur autochtone Cecil King, il présente un argument convaincant dans Indians and Anthropologists: Vine Deloria, Jr. and the Critique of Anthropology. Il y avance que les communautés autochtones devraient avoir le droit de ne pas être le sujet de recherches – par opposition au droit de savoir (mes italiques) des chercheurs en sciences humaines. Lors de mes séjours dans la région des Salish de la côte, j’ai écouté les récits de plusieurs communautés sur l’attitude des chercheurs. L’explication des Anciens et des spécialistes du savoir traditionnel fait écho à l’essai de Jo-ann Archibald (1999) qui émettait une critique sur l’attitude de l’anthropologue Crisca Bierwert dans les communautés Sto:lo de la vallée du Fraser. J’ai des raisons et des questions très précises qui me poussent à faire ce type de recherche. Quelles sont les hypothèses culturelles et méthodologiques sous-jacentes? Quels sont les buts qui animent les chercheurs en sciences humaines de tout acabit qui mènent des recherches dans les communautés autochtones? Comment ces questions peuvent-elles trouver des réponses à partir de ce que les chercheurs communiquent d’eux-mêmes aux communautés et à travers leurs pratiques et leurs résultats de recherche? Qu’est-ce qui peut être fait pour soutenir la capacité des communautés autochtones à discerner, à différencier et à réagir dans le cas de recherches qui perpétuent une histoire d’invasion et d’extraction de ressources par des chercheurs ethnocentriques par rapport à des recherches qui offrent la possibilité de bénéfices tels que des collaborations et une réciprocité entre les universités et les communautés?
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