L’enseignement et l’apprentissage dans le nord-est au 18e siècle (Thomas Peace)
Plutôt que de vous parler de moi, j’aimerais vous présenter mon ami Louis Vincent, ou Sawantanan, nom sous lequel il était connu chez lui. Louis a été le premier enseignant de sa communauté et fort probablement le premier enseignant autochtone dans ce qui allait devenir le Canada.
Un être extraordinaire, Louis naît dans une communauté wendate près de la ville de Québec dans les années 1740 et son adolescence est marquée par les conflits militaires et le changement de régime. Au début des années 1770, il quitte la maison pour étudier à la Moor’s Indian Charity School puis au Dartmouth College. Peu après son arrivée à ce « collège dans les bois » de la campagne du New Hampshire, la guerre de l’Indépendance éclate. Tout au long de la guerre, Louis sert d’interprète pour le Congrès continental et fait même la rencontre de George Washington. Vers la fin de la guerre, il reprend ses études et obtient son diplôme de Dartmouth en 1781. Il rejoint alors le missionnaire anglican John Stuart et les Mohawks sur les rives de la baie de Quinte où il collabore avec John Stuart au fonctionnement d’une école et à la traduction de la Bible en mohawk. En 1791, il retourne chez lui pour ouvrir une école où il enseigne aux enfants du village jusqu’à sa mort en 1825.
J’ai rencontré Louis pour la première fois lors de mes recherches doctorales traitant de la façon dont les autochtones ont vécu les conquêtes de l’Acadie et du Canada. Lorsque j’ai comparé les Wendats de Québec avec les Mi’kmaq d’Annapolis Royal, Louis me fascinait. Non seulement a-t-il servi d’interprète entre les délégués mi’kmaqs, penobscots et américains pendant la Révolution, mais un homme nommé « Vincent » avait mené une expédition guerrière wendate qui a attaqué Annapolis Royal en 1745. Bien que la manière dont ces deux communautés avaient vécu le changement de régime européen ait été profondément différente, et même si je ne sais pas si les deux Vincent étaient reliés, mon ami Louis a connecté ces endroits. Il m’a encouragé à approfondir mes idées sur l’interrelation des lieux que nous connaissons aujourd’hui comme le Québec, la Nouvelle-Angleterre et les Maritimes. Cette interrelation constitue d’ailleurs un des éléments clés de la réécriture de ma thèse en monographie.
Les dix-huit derniers mois m’ont permis de mieux connaître Louis. En octobre dernier, j’ai déménagé avec ma famille à Hanover, au New Hampshire, là où se trouve Dartmouth College. J’y suis allé pour commencer ma recherche postdoctorale sur Louis et sur d’autres personnages comme lui. En effet, Louis n’était qu’un parmi une poignée d’autochtones ayant obtenu un diplôme d’un collège colonial. Ils ont été environ 70 étudiants entre 1760 et 1830 à se rendre à la Moor’s Indian Charity School et au Dartmouth College en provenance du territoire haudenosaunee (iroquois) ou des communautés autochtones de la vallée du Saint-Laurent. Plusieurs ont suivi les traces de Louis, retournant dans leur communauté pour ouvrir certaines des premières écoles de la région.
Nous connaissons très peu l’histoire de l’éducation pendant cette période. Aux États-Unis, l’étude des Amérindiens et des structures coloniales de l’éducation se termine à la Révolution. Au Canada, l’histoire traite des premières activités religieuses au 17e siècle en Nouvelle France ou de la création ultérieure des pensionnats indiens. Si on met ces périodes bout à bout, on constate un vide entre les années 1780 et 1830. Mon parcours avec Louis suggère que, pour remplir ce vide, il faut porter une plus grande attention aux différents peuples qui vivaient à cette époque dans le nord-est de l’Amérique du Nord.
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