Les médias enseignent-ils le passé? (Scott Alan Metzger)
Mon enseignant d’histoire au secondaire nous a présenté Becket (1964) en classe. J’avais alors aimé le film, mais lorsque j’ai étudié la pièce originale au collège, j’ai été surpris d’apprendre que Thomas Becket n’était pas un Saxon comme dans le film. Je sentais que j’avais tout de même appris quelque chose en regardant le film, car il avait indéniablement éveillé mon intérêt pour l’histoire médiévale. Est-ce que c’est pour cette raison que mon enseignant avait choisi de présenter Becket dans son cours ou pensait-il (à tort) que les faits montrés étaient exacts? La thématique de résistance morale face à l’autorité d’un tyran était peut-être aussi en résonnance avec ses convictions politiques des années 1980.
Lorsque j’ai commencé à enseigner au secondaire, j’ai inclus mon amour des films historiques dans mes cours. La plupart de mes élèves étaient tout aussi heureux, spécialement les garçons, car c’était l’époque d’Il faut sauver le soldat Ryan (1998) et de Gladiateur (2000). Je pensais que mes élèves en retireraient quelque chose au-delà du plaisir et de l’intérêt visuel, mais j’ai commencé à avoir des doutes lorsque j’ai appris à mes dépens à quel point les films historiques peuvent manquer d’exactitude. Comme nouveau praticien, mon expérience d’utilisation du support cinématographique était insatisfaisante. Au cours de mes études doctorales, j’ai découvert un champ de recherche en pleine expansion sur l’histoire et la culture populaire. Alan Marcus m’a fait connaître une communauté de chercheurs intéressés par l’utilisation pédagogique des films historiques en m’invitant à contribuer à sa monographie Celluloid Blackboard: Teaching History with Film (Information Age Publishing, 2006).
Donc, après un doctorat, une décennie d’études et plusieurs publications, quelle est ma réponse à la question « Les médias enseignent-ils le passé? » C’est oui, mais ils ne le font pas très bien sans accompagnement. Il est évident que les médias de masse influencent grandement la population en général, dont les élèves. Prétendre que l’influence des médias n’affecte pas l’apprentissage pédagogique n’est pas une option satisfaisante. Même lorsque les élèves sont assez futés pour reconnaître les inexactitudes historiques, ils n’en savent pas assez pour discerner la réalité de la fiction. Les images et les messages des médias à caractère historique peuvent coloniser la mémoire et l’imagination, et cet impact sur la pensée historique pourrait n’être qu’à demi conscient. Penser que les médias peuvent par eux-mêmes « enseigner » le passé est très problématique, car tout élément pédagogique sera souvent subordonné aux objectifs du film. Un enseignant doit être bien préparé et renseigné afin d’aider les élèves à regarder les médias à caractère historique de façon critique et analytique et non comme un simple divertissement. Les élèves font un meilleur apprentissage lorsqu’ils ont des questions éducatives auxquelles réfléchir et des activités leur permettant d’appliquer ce qu’ils ont appris.
Une conclusion émerge de mon travail avec les enseignants et les chercheurs intéressés par l’histoire et les médias : l’importance de l’intention pédagogique. Choisir un bon titre n’est pas assez (bien que cela aide). Un très bon film historique peut être mal utilisé en classe tout comme on peut tirer des avantages pédagogiques d’un film historiquement mauvais. La clé est de bien planifier et échafauder son cours de façon à ce que les élèves puissent utiliser consciemment les médias pour réaliser des objectifs d’apprentissage bien énoncés. Alan Marcus, Rich Paxton, Jeremy Stoddard et moi-même démontrons de tels objectifs dans Teaching History with Film: Strategies for Secondary Social Studies (Routledge, 2010). Par l’utilisation d’exemples concrets pour la classe, nous explorons des techniques à l’appui des objectifs d’apprentissage comme l’empathie historique, la pensée analytique/interprétative, les enjeux controversés et les films historiques comme récits visuels.
Mon espoir est que de telles recherches puissent établir la littératie des médias à caractère historique comme une compétence reconnue en éducation sociale et en formation des maîtres. L’histoire n’est pas que pédagogique et le passé constitue une source pour donner un sens au monde et à la façon dont les gens et les communautés définissent leur identité sociale. Être « capable » de relever et de critiquer les messages des médias à caractère historique sur la façon dont le passé est relié au monde d’aujourd’hui est réellement une compétence du 21e siècle, s’il en est une.
Bien que les films soient une des formes principales pour traiter les sujets historiques, j’ai récemment été très intrigué par d’autres médias, comme la musique qui inclut la recherche de sens sur le passé et les jeux vidéo qui permettent de jouer dans le passé et d’aborder d’autres versions et d’autres expériences. Je travaille présentement comme rédacteur principal d’un projet de recherche, Handbook of History Teaching and Learning, dont la publication est prévue chez Wiley-Blackwell, provisoirement au début de 2018. Un chapitre entier sera consacré aux films, aux médias et à la culture populaire alors qu’un autre portera sur les simulations, les jeux et les technologies numériques. La recherche sur les médias, la pensée historique et l’apprentissage est en pleine expansion tout comme le consensus au sein du monde de l’éducation à l’effet qu’il s’agit d’un enjeu primordial pour les citoyens qui vivent dans un environnement saturé par les médias.
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