La politique dans l’enseignement de l’histoire : de la Bataille de la Boyne au président Mao (Tony Taylor)
C’est le frère Richard, de l’école primaire De La Salle, à Pendleton, Manchester (RU), qui m’a involontairement fait connaître, quand j’avais huit ans, le lien entre l’enseignement de l’histoire et l’idéologie, un lien qui a été un thème prédominant de mes recherches de la dernière décade. Le frère Richard nous enseignait sa propre version, à saveur catholique, de la bataille de la Boyne de 1690 : d’un côté de la rivière Boyne (en réalité, un ruisseau boueux), se tenaient les soldats de Jacques VII, roi catholique déchu qui revendiquait toujours les trônes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Sur l’autre rive, se trouvait l’armée du prince protestant Guillaume d’Orange. Selon le frère Richard, la bataille, ainsi que la cause du catholicisme en Irlande pour les deux siècles suivants, a été perdue lorsque, bizarrement, un tir de canon des orangistes a frappé le seul général jacobite qui connaissait le plan de la bataille. La conséquence de cette malchance est que Guillaume a triomphé et Jacques s’est enfui en exil – et l’ordre d’Orange commémorant cette victoire nous a suivis jusqu’à aujourd’hui. En réalité, la bataille était plutôt chaotique et les jacobites ont battu en retraite devant les forces orangistes mieux organisées. Mais le frère Richard n’était pas le seul à adapter les récits historiques à son point de vue. Au collège (école secondaire), nous avons appris par la suite que le roi Henri VIII était réellement mort en bon catholique et que Élisabeth I avait renié ses convictions protestantes erronées sur son lit de mort, des affirmations historiques tout aussi incongrues à l’époque que maintenant.
Il m’a fallu un certain temps pour passer d’une Élisabeth qui s’abjurait à des exemples plus récents des liens entre l’idéologie et l’appropriation des récits historiques. Ma prise de conscience suivante s’est produite beaucoup plus tard, en 1999, lorsque le Liberal National Party (LNP – la coalition conservatrice alors à la tête de l’Australie) a lancé une enquête nationale sur l’histoire dans les écoles et que j’ai eu la chance de diriger l’équipe de la Monash University qui a mené le sondage. Depuis 1999 et cette enquête, j’ai participé étroitement aux initiatives en enseignement de l’histoire des gouvernements successifs du LNP et de l’Australian Labor Party (ALP). J’y ai appris ce qui suit : d’abord, les politiciens conservateurs accordent une importance bien plus grande à l’enseignement de l’histoire que leurs homologues travaillistes. Ces derniers reconnaissent l’importance de l’histoire de façon polie, mais distraite. L’ALP montre beaucoup plus d’intérêt pour la litératie, la numératie, les matières utiles à une carrière professionnelles et les portables dans chaque classe. Les travaillistes ont été, et le demeurent en pratique, très enthousiastes à l’idée de reléguer l’enseignement de l’histoire en marge du programme scolaire.
À l’opposé, l’accent mis par les conservateurs sur l’importance de l’enseignement de l’histoire est principalement basé sur la croyance selon laquelle l’histoire enseignée en classe devrait célébrer l’histoire nationale par la connaissance (plus que la compréhension) d’un récit maître au cours duquel se développe de façon organique une démocratie parlementaire, un récit basé sur des faits politiques et économiques incontestables (qui s’apparente à la doctrine d’Edmund Burke du parti whig). Pour illustrer ce que je veux dire, voici une autre exemple. Vers la fin de 2006, j’étais à Canberra dans la suite ministérielle, assis en face de conseillers du LNP en habit noir qui évaluaient l’ébauche d’une structure de programme en histoire (fondé sur l’enquête, axé sur les concepts, flexible) que j’avais préparée pour leur ministre. « Nous aimerions voir plus de détails », dit l’un d’eux. « Voulez-vous dire plus de faits? », ai-je demandé. Ils ont bougé sur leur siège, et hoché la tête.
« Et plus d’histoire politique et économique », a dit l’autre. J’ai répondu que l’ensemble des étudiants du secondaire détestait généralement l’histoire politique et économique, mais réagissait bien à l’histoire sociale. Les bons enseignants pourraient se servir de l’histoire sociale comme d’un outil d’enquête pour explorer les questions politiques et économiques. Ils m’ont regardé comme si j’étais complètement fou. Ils ne pouvaient pas comprendre la notion d’enquête étudiante dans les cours d’histoire – et histoire sociale a des relents de socialisme.
Ce qui m’amène à la deuxième chose que j’ai apprise, c’est-à-dire que, inévitablement, les politiciens conservateurs soupçonnent une infiltration des classes d’histoire par la gauche, et ils considèrent l’enseignement progressiste de l’histoire comme une activité radicale menée par des enseignants d’histoire séditieux. C’était certainement le cas lorsque durant les débats nationaux de 2006-2007 sur l’enseignement de l’histoire australienne, le terme maoiste a été galvaudé par la ministre de l’Éducation du gouvernement conservateur de l’époque et ses conseillers.
Cette obsession de la nature politisée de ce qui est supposé se passer dans les classes d’histoire explique en partie l’intensité déployée par la branche conservatrice de la politique au sujet de l’histoire dans les écoles, particulièrement en 9e et 10e année, les dernières années de l’école obligatoire. L’espoir ardent de mes conseillers de noir vêtus était qu’ils pourraient exercer leur influence dans les classes avec une histoire dont l’idéologie agirait comme mesure préventive contre des formes d’histoire plus réflexives, discursives (et conséquemment, subversives). En d’autres mots, les faits incontestables et leurs célébrations sont là pour chasser les sujets et les pensées complexes qui prêtent à la contestation.
C’est dans cette même veine que j’ai entrepris avec ma chercheuse associée Sue Collins ma plus récente aventure de recherche, une étude de l’influence de la presse conservatrice sur l’enseignement de l’histoire en Australie. Une lecture qui promet d’être passionnante : « The Politics are Personal: The Murdoch Press, a Culture of Intimidation and the Australian History Curriculum », The Curriculum Journal (à paraître).
Tony Taylor est enseignant et chercheur à la Monash University, Victoria, Australie. De 2001 à 2007, il était directeur du National Centre for History Education, un organisme fédéral partenaire de THEN/HiER. Il travaille actuellement à deux projets en histoire de l’Australian Research Council : l’un pour la mise en place d’un programme national en Australie, et l’autre sur une comparaison Australie-Russie quant au fonctionnement de l’école secondaire. Sue Collins est agente de recherche de l’Assessment Research Centre (ARC) à la Monash University.
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