La pensée historique dans l’éducation d’historie au Québec (Sabrina Moisan)
J’ai découvert assez tard l’intérêt de l’histoire pour penser et comprendre le monde. J’étais au cégep lorsque la méthode historique m’a été enseignée pour la première fois. Ce fut une réelle révélation! Ce fut aussi un moment assez frustrant, je me suis demandé pourquoi mes anciens enseignants d’histoire n’avaient pas eu recours à une telle méthode et s’étaient plutôt contentés de me faire mémoriser les faits désincarnés du passé. Ce questionnement m’a suivi tout au long de mes études universitaires en histoire. Doutant du potentiel de la mémorisation comme moyen de nourrir le rapport au passé et au présent des individus, j’ai décidé de faire une maîtrise sur ce qui reste de cet enseignement chez les élèves québécois. Sous la direction de Jocelyn Létourneau, j’ai investigué la mémoire historique des jeunes québécois francophones pour ma thèse Mémoire historique de l’aventure québécoise chez les jeunes Québécois francophones : Coup de sonde et analyse. J’ai constaté une grande uniformité dans le récit narratif et surtout, l’absence de toute forme de pensée critique ou historique à l’égard de ce récit. J’ai soumis l’hypothèse qu’une partie de l’explication de ce phénomène se trouvait du côté des enseignants, de leurs pratiques et de leurs représentations de l’enseignement de l’histoire. Plusieurs recherches montraient d’ailleurs la prégnance de pratiques traditionnelles.
En effet, malgré une éducation didactique de grande qualité, malgré des expérimentations plus poussées concernant la pensée historienne des maîtres, ceux-ci continuent à adopter des méthodes magistrocentrées, basées sur un récit très souvent univoque. J’étais convaincue que les fondements épistémologiques et les représentations sociales des maîtres à l’égard de leur discipline constituaient un élément de réponse qu’il valait la peine de creuser de manière à améliorer encore la formation des maîtres et de mieux comprendre la dynamique de la classe d’histoire. J’en ai fait mon objet de recherche doctorale, Fondements épistémologiques et représentations sociales d’enseignants d’histoire du secondaire à l’égard de l’histoire et la citoyenneté comme objets d’enseignement et d’apprentissage.
Il est apparu que les enseignants d’histoire de mon échantillon (18 enseignants de Montréal et de deux communautés amérindiennes) voient l’histoire, non pas comme une science humaine, mais comme une culture commune. Ils sont prêts à enseigner différentes interprétations (principalement celles des francophones, des anglophones et parfois, des Amérindiens), mais ces visions sont présentées comme si elles étaient monolithiques, partagées par tous les membres d’un groupe. Lorsqu’ils parlent d’interprétation, les enseignants ne se réfèrent pas à celles que les élèves pourraient construire eux-mêmes par un travail sur les sources. En fait, ils privilégient l’acquisition de connaissances historiques de base avant la transmission d’une méthode historique. Ils souhaitent fournir à leurs élèves des savoirs historiques leur permettant de se faire une idée de l’évolution de leur société. C’est là l’essentiel de leurs objectifs de formation.
Par ailleurs, les enseignants rencontrés arrivent à la conclusion que l’enseignement magistral est la méthode la plus efficace pour conserver l’intérêt des élèves. S’ils ne se disent pas contre la pensée et la méthode historiques dans l’absolu, ils ne croient pas que des élèves du secondaire puissent développer ces habiletés et en même temps acquérir les connaissances nécessaires à ce qu’ils considèrent être une bonne formation historique. En somme, l’absence de fondements épistémologiques des enseignants, conjuguée à leurs convictions.
J’ai la chance aujourd’hui de poursuivre ma réflexion et d’appliquer les principes de la didactique de l’histoire dans le cadre de mes nouvelles fonctions de coordonnatrice des programmes éducatifs au Centre commémoratif de l’Holocauste (CCHM). En effet, mon mandat concerne la formation continue des enseignants, la création de matériel pédagogique et la recherche en partenariat avec les universités montréalaises. Je construis actuellement un outil pédagogique visant le développement de la pensée historienne des élèves, qui porte sur l’intervention canadienne et québécoise (de la population civile et de l’État) lors de l’Holocauste et lors du génocide au Cambodge. Pour ce faire, j’ai accès à des documents d’archives inestimables et à près de 500 témoignages de survivants de l’Holocauste vivant à Montréal. J’utilise les récits de vie et les documents de cinq survivants venus au Canada comme réfugiés pendant les années de la guerre. Tous ont traversé l’Atlantique sur le fameux bateau portugais, Serpa Pinto. Je présenterai cet outil aux enseignants en octobre prochain, lors d’un colloque organisé pour eux par le CCHM. Bref, ma passion pour l’enseignement de l’histoire et les acteurs qui l’animent alimentent maintenant ma profession!
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