Histoires des environnements, histoires des lieux (Jennifer Bonnell)
Ce n’est qu’après avoir longuement examiné les liens entre l’utilisation de la terre, le lieu et la mémoire que j’en suis venue à l’étude de l’histoire. Au cours de ma maîtrise en études de l’environnement à UVic à la fin des années 1990, j’ai eu l’occasion d’explorer l’histoire orale des Amérindiens de la côte du nord-ouest de la C.-B. J’ai examiné les questions reliées à la migration et à l’utilisation des ressources. J’ai aussi exploré l’utilisation de ces histoires, qui sont situées avec précision dans un territoire donné, dans le cadre de revendications territoriales et de projets de cartographie par SIG. Quelques années plus tard, je suis arrivée à Toronto où j’ai reçu un mandat de la Multicultural History Society of Ontario pour faire des entrevues d’histoire orale avec des citoyens de la communauté d’Agincourt à Scarborough, entrevues qui incluaient des personnes de diverses origines, autant des nouveaux arrivants que des gens bien établis. Une exposition communautaire a par la suite tenté de capter la désorientation de ces résidants, que ce soit celle des citoyens témoins de la transformation d’une petite communauté rurale très unie en une banlieue étalée ou celle des nouveaux arrivants qui avaient quitté des pays aussi éloignés que le Sri Lanka et l’Égypte pour vivre dans un lieu qui leur était incroyablement étranger. En écoutant ces personnes parler de leurs expériences et du passé qu’ils avaient transporté avec eux, j’ai senti s’allumer en moi une passion pour l’histoire des lieux.
Lorsque j’ai entrepris des études doctorales en 2004, mon objectif était d’approfondir cet intérêt pour le lien entre les personnes et les lieux en apprenant à « faire de l’histoire ». À OISE, je me suis servi de mes acquis en études anglaises et en études de l’environnement et j’ai orienté mes intérêts de recherche vers la mémoire publique et l’histoire de l’environnement. Au cours des six années suivantes, je me suis transformée en historienne de l’histoire sociale et environnementale du Canada grâce au soutien d’historiennes aussi reconnues que Ruth Sandwell et Cecilia Morgan, aux professeurs du Département d’histoire et à l’appui de mon jury qui a fait preuve d’ouverture et de créativité.
Le sujet de ma thèse sur l’histoire de la Don River Valley de Toronto a émergé de mon expérience personnelle comme nouvelle arrivante dans cette ville et de mes efforts pour me familiariser avec un paysage urbain qui me semblait étrange, voire incompréhensible par moments. Me promenant à bicyclette le long de la Lower Don River, je me demandais comment ce lieu en était arrivé là, c’est-à-dire une voie navigable urbaine qui avait été négligée et canalisée dans le béton et dont le cours inférieur s’entrecroisait avec des autoroutes et des bretelles d’accès. À quoi ressemblait ce lieu lorsque les premiers colons européens se sont établis sur la rive nord du lac Ontario ? Comment les perceptions de ce lieu avaient-elles changé avec les années ? Quelle était la relation entre la perception du lieu et les utilisations qu’on en avait faites au fil du temps ? Comment se pouvait-il que cet endroit négligé et pollué soit devenu à la fois une destination de loisir pour les Torontois et un refuge pour les sans-abris ? Pourquoi ici ?
Ce qui au départ devait être un projet d’histoire orale qui documenterait les souvenirs au sujet de cette vallée s’est rapidement transformé en quelque chose de très différent. Les premières visites aux archives de la Ville de Toronto et à d’autres collections m’ont rapidement convaincue que mon défi consisterait à naviguer parmi une surabondance de sources sur la Don plutôt qu’à produire de nouvelles sources. J’ai découvert une foule de renseignements sur divers sujets, notamment la colonisation de la rivière et l’arrivée de l’industrie riveraine, dans des cartes, des photos, des illustrations, des textes et dans une longue liste d’études et de plans conçus pour améliorer ce qui était devenu, tout compte fait, un égout à ciel ouvert depuis la fin du 19e siècle.
Au printemps dernier, j’ai défendu avec succès ma thèse de doctorat intitulée Imagined Futures and Unintended Consequences: An Environmental History of Toronto’s Don River Valley. Dès le départ, mon projet a bénéficié d'un excellent synchronisme (bien qu’accidentel) et l’intérêt du public ne s’est jamais démenti. En effet, alors que j’écrivais sur le passé de la rivière, la Ville et son agence de développement riverain, Waterfront Toronto, dévoilaient des plans ambitieux pour « revitaliser » l’embouchure de la Don (et remplacer un district industriel en ruines par des condos générateurs de revenus). L’intérêt public pour le passé de ce lieu continue de générer des invitations de bibliothèques, d’associations professionnelles et de sociétés d’histoire pour donner des conférences, des occasions des plus enrichissantes de partager mes recherches avec des gens profondément intéressés par le passé de leur ville.
En ce moment, je révise ma thèse pour publication par la University of Toronto Press. Puis, j’explorerai l’histoire environnementale de l’apiculture au 20e siècle en Ontario et dans l’état de New York.
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