Explorer la perspective des élèves sur le passé (Amy von Heyking)
C’est en 5e année que j’ai compris pour la première fois à quel point il peut être difficile d’accepter la présence de perspectives multiples sur le passé, lorsque j’ai réalisé que les récits sur l’histoire de ma famille n’étaient pas inclus dans ma salle de classe. Mon enseignante animait une discussion sur l’importance de la journée du Souvenir et elle a demandé si des membres de notre famille avaient participé à la Seconde Guerre mondiale. J’ai répondu que mon père avait été capturé en Afrique du Nord et qu’il avait passé la majeure partie de la guerre dans des camps de prisonniers de guerre en Louisiane et au Texas. Mon enseignante a dit : « Mais Amy, les Américains étaient nos alliés. » J’ai répondu : « Je sais. Ma famille a combattu du côté des Allemands. » Le silence qui a suivi a semblé une éternité, puis elle a dit : « Oh! Nous faisons tous des erreurs. »
Comme beaucoup d’élèves, j’ai appris qu’il y avait au moins deux récits sur le passé, essentiellement irréconciliables : l’histoire nationale, le récit dominant sur le passé du Canada que nous apprenons à l’école, et l’histoire de ma famille. Le récit dominant était intéressant, mais il n’était pas porteur de sens. Il ne semblait pas y avoir de place pour moi dans ce récit. Une grande partie des recherches que j’ai menées en histoire des programmes d’enseignement et en histoire de l’enseignement est issue de cette découverte en bas âge que les perspectives historiques offertes dans ces programmes servent non seulement à refléter notre identité, mais aussi à la forger. Mes questions de recherche jaillissent de cet épisode de 5e année et de mon expérience d’enseignante en sciences humaines : quels récits avons-nous inclus dans les programmes? Comment ces programmes ont-ils été conçus et mis en application? Comment les écoles ont-elles forgé notre compréhension de l’identité nationale? Quel a été l’impact de ces perspectives sur l’apprentissage des enfants?
Dans Creating Citizens: History and Identity in Alberta’s Schools, 1905 to 1980 (University of Calgary Press, 2006), j’ai exploré les changements apportés à l’éducation à la citoyenneté en Alberta. J’étais particulièrement intéressée par la façon dont les programmes véhiculaient les messages sur l’unicité de l’identité régionale de la province ainsi que sur l’évolution de notre compréhension de l’identité canadienne. Je traitais aussi de la façon dont la province, sous des gouvernements relativement conservateurs, avait adopté des programmes d’enseignement en sciences humaines très progressifs, et j’en analysais les raisons. Depuis, j’ai publié des articles sur la représentation des Américains dans les programmes et les manuels scolaires canadiens et sur la nature et l’impact des concepts de britannicité dans les écoles canadiennes au 20e siècle.
Dans toutes mes recherches en histoire du curriculum, j’ai tenté non seulement d’analyser le curriculum officiel dans les programmes d’études et les manuels scolaires, mais aussi d’explorer la façon dont le curriculum est communiqué aux élèves et la façon dont ces derniers le reçoivent. Les enseignants ont toujours eu à trouver leur chemin dans les réformes et même à les remettre en question, adoptant ou adaptant les nouveaux programmes pour répondre aux besoins de leurs élèves, au contexte d’enseignement et à leurs valeurs personnelles. Comprendre le curriculum au-delà de la rhétorique des programmes officiels et dans le contexte de la réalité vécue en classe représente un énorme défi pour les historiens. Rares sont les sources primaires, telles que les devoirs des élèves et les plans de cours, qui m’aident à élucider ce que des historiens ont appelé la boîte noire de l’histoire du curriculum, c’est-à-dire la classe. Je travaille aujourd’hui sur la nature et l’ampleur de la mise en place dans les écoles d’innovations progressives centrées sur l’enfant.
J’ai aussi entrepris une recherche sur la façon dont les élèves abordent l’apprentissage d’une histoire qui leur demande d’explorer des perspectives multiples. Le programme albertain en sciences humaines requiert des enseignants qu’ils aident les élèves à comprendre les perspectives diverses, souvent conflictuelles, des acteurs du passé. Cependant, il y a peu de recherches qui indiquent jusqu’où les enfants peuvent comprendre et articuler la perspective de personnes ayant vécu en d’autres lieux et en d’autres temps. Ma recherche sur 60 élèves de 4e année explorait les caractéristiques de base de l’expression de leur empathie historique et évaluait l’impact de stratégies d’enseignement spécifiques, telles que l’étude de romans, sur leur capacité à articuler un éventail de perspectives historiques. Au début, les élèves démontraient toutes les hypothèses présentistes trouvées par les autres chercheurs. Au cours de l’année, ils ont travaillé avec le concept de perspective historique, ont mené des recherches sur leur histoire familiale et ont fait des apprentissages sur le passé de leur communauté et de leur province. À la fin de l’année, ils se débattaient encore avec quelques perspectives, celles incluses dans les romans plutôt que dans les textes informatifs. Ils ont acquis une meilleure habileté à articuler les perspectives historiques, mais cette habileté était affectée par leur développement émotif, le sujet historique qu’ils étudiaient et même des évènements précis de leur vie personnelle. Bien que l’apprentissage d’une histoire qui inclut de multiples perspectives pose un défi réel, je crois que c’est un élément clé de l’éducation de futurs citoyens qui seront vigilants, respectueux, responsables et qui auront à cœur le bien-être de la société.
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