Enseigner l’histoire à une époque d’omniprésence informatique : un plaidoyer pour les jeux (Kevin Kee and Shawn Graham)
Les historiens se sont toujours comportés de manière interactive avec le contenu étudié, remettant constamment en question l’information, la retravaillant, allant même jusqu’à la remixer pour faire de l’histoire. Nous avons incorporé cette interactivité dans notre enseignement, analysant les sources primaires et secondaires dans nos séminaires et aidant nos étudiants à s’en servir pour composer leurs propres récits historiques. Nous devons aussi devenir interactifs dans la façon dont nous utilisons la technologie pour enseigner.
Nos étudiants du premier cycle ont toujours eu accès à la Toile, car les ordinateurs personnels ont fait une entrée massive au primaire et au secondaire dans les années 1980, et ces élèves ont déjà terminé leurs études universitaires. Rares à cette époque, les ordinateurs sont devenus monnaie courante en quelques années à peine. Nous vivons dorénavant à une époque d’omniprésence informatique où les appareils numériques se multiplient dans tous les recoins de notre existence.
Comment enseigner l’histoire efficacement à cette époque d’omniprésence informatique où la consommation de médias dans un contexte d’isolement s’est transformée en interactivité avec les médias dans un contexte de réseaux sociaux? La réponse ne passe plus par des sites web ou des échanges sur des babillards électroniques. Ces solutions représentent des technologies intérimaires, ce que l’historien John Lutz a nommé les voitures sans chevaux de la révolution informatique. Nous devons plutôt passer à l’ère de l’automobile. La première expression dépeignait une invention en utilisant un vocabulaire rappelant une technologie connue; la seconde inventait un nouveau concept pour décrire une nouvelle technologie. Tout comme l’arrivée de l’automobile a coïncidé avec la production de masse et l’accès pour tous, la nouvelle façon d’interagir avec le médium numérique a développé ses propres expressions et métaphores, telles que réseaux sociaux, Facebook, MySpace, Machinima et MMORPG.
Les deux dernières expressions sont reliées aux jeux informatiques. Ce sont de passionnantes applications numériques qui requièrent de grandes habiletés techniques, ou en d’autres mots, les automobiles de l’ère numérique au 21e siècle. Les technologies du jeu sont à la base des développements et de l’évolution du matériel informatique, de l’intelligence artificielle et de toute une panoplie de technologies connexes. Les études sur les jeux sont en croissance, mais la recherche dans cette discipline émergente est principalement menée par les spécialistes en informatique et en psychologie.
Pourtant, les sciences humaines ont également beaucoup à offrir. L’industrie du jeu a démontré un vif intérêt pour les sciences humaines, en particulier pour l’histoire. Une portion substantielle des jeux informatiques qui ont vendu au moins un million d’unités était basée sur un sujet historique ou utilisait des tropes historiques. Puisque plusieurs des plus grands succès utilisent des thèmes historiques, il serait opportun de faire des études sur les jeux informatiques dans les domaines des sciences humaines et de l’histoire. Il y aurait aussi lieu d’étudier la façon d’utiliser cette popularité pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire.
Nous croyons que la meilleure façon d’enseigner l’histoire à une époque d’omniprésence informatique inclut un apprentissage utilisant les jeux informatiques. Nous devrions faire appel aux jeux dans nos cours de premier cycle tout comme nous utilisons déjà les manuels scolaires. Alors que la documentation scientifique plaide pour l’utilisation des jeux comme outil d’enseignement, nous en proposons une autre conception : les jeux sont des artéfacts qui devraient être déconstruits, à la manière historiographique. Nous savons que les étudiants peuvent bâtir leur propre analyse des jeux en créant leurs propres histoires avec des mods (des modifications aux jeux commerciaux). Ce procédé leur permet de dépasser les simples analyses et modifications pour plutôt aller vers une conception collaborative de jeux, de la même façon qu’ils rédigent leurs travaux en équipe. Les historiens peuvent ainsi exploiter le potentiel que représente l’apprentissage avec les jeux... tout en évitant les pièges.
Lire une ébauche de ce chapitre (et d’autres) qui sera incorporé dans un livre sur le symposium Playing with Technology.
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