Enseigner les traités (Jennifer Tupper)
Mes activités de recherche et d’enseignement ainsi que mes études doctorales sur les traités n’ont commencé qu’après mon arrivée à la University of Regina en 2004. Lorsque j’enseignais les sciences humaines au secondaire à Edmonton et dans mes études doctorales à la University of Alberta, j’étais convaincue que je portais un regard critique sur mon enseignement et ma recherche et, à certains égards, c’était le cas. Cependant, lorsqu’on m’a demandé de participer à un projet de recherche explorant les meilleures pratiques dans l’enseignement des traités, un projet soutenu par le Bureau du commissaire aux traités et le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, j’ai constaté les limites de mes connaissances. Comme enseignante ou doctorante, je n’avais jamais pensé à l’importance des traités numérotés dans le récit séminal canadien. Non seulement ces traités ne sont pas inclus dans le récit officiel de la nation, mais ils ne faisaient pas davantage partie de ma conscience historique comme citoyenne canadienne. Pourtant, le partenariat entre les Premières Nations et les « non-Premières Nations » canadiennes constitue une partie intégrante, sans aucun doute la plus importante, de l’histoire de ce pays. Les traités numérotés négociés entre les Premières Nations et la Couronne britannique illustrent ces partenariats. Ils ont ouvert de vastes territoires à la colonisation européenne. Dans Compact, Contract, Covenant: Aboriginal Treaty-Making in Canada (2009), l’historien J. R. Miller affirme que les traités constituent un des « paradoxes de l’histoire du Canada. Bien qu’ils aient été un élément important du pays depuis ses débuts… relativement peu de Canadiens les connaissent ou comprennent le rôle qu’ils ont joué dans le passé du pays » (p. 3).
Alors que mes études et mes recherches progressent, cette ignorance me préoccupe, surtout lorsque j’explore l’importance historique et contemporaine des traités et des relations entre les partenaires. Dans mes travaux de recherche avec des enseignants, des élèves et des futurs enseignants, j’examine comment les privilèges sociaux et économiques des colons blancs qui vivent et travaillent dans les Prairies sont directement reliés aux traités. Je fais appel aux pédagogies de l’anticolonialisme et de la décolonisation ainsi qu’à la sagesse et aux récits des Anciens des Premières Nations pour « décoloniser » les connaissances et les identités dominantes. Ma participation à ce premier projet de recherche sur l’enseignement des traités fut pour moi une révélation. Par la suite, j’ai rédigé un article avec mon cochercheur Michael Cappello, « Teaching Treaties as (Un)usual Narratives: Disrupting the Curricular Commonsense » (Curriculum Inquiry 38[5] [2008]: 559-78) pour lequel nous avons reçu le prix de l’Association canadienne pour l’étude du curriculum décerné au meilleur article. Dans cet article, nous soutenons que l’enseignement des traités perturbe forcément les récits dominants sur la nation ainsi que les curriculums eurocentriques reproduisant ces récits. Ainsi, l’enseignement des traités constitue un champ d’apprentissage qui donne autant d’information qu’il génère de questions. C’est là un exemple de curriculum qui peut inciter les élèves à réfléchir sérieusement et différemment à l’histoire du Canada et à leur propre citoyenneté par l’observation des préjugés qu’on retrouve dans les décisions coloniales, comme le soutient D. Calderón dans « Locating the Foundations of Epistemologies of Ignorance in Education Ideology and Practice » (dans Epistemologies of Ignorance in Education, sous la direction d’E. Malewski et N. Jaramillo, 2011). En d’autres mots, enseigner les traités représente beaucoup plus que l’enseignement du contenu trouvé dans les traités numérotés. Les enseignants ont la possibilité d’intégrer les récits historiques et contemporains au savoir et aux expériences des Premières Nations, incluant tout ce qui est profondément lié au colonialisme. Cet enseignement requiert une étude critique des promesses faites dans ces traités et du non-respect de ces promesses de la part du gouvernement canadien dans le passé ou aujourd’hui.
Puisque l’enseignement des traités est obligatoire à tous les niveaux et est intégré dans toutes les matières des écoles de la Saskatchewan, ma recherche explore aussi les limites des connaissances et de la compréhension des futurs enseignants sur les traités et les relations entre les signataires. Elle explore aussi dans quelle mesure ces enseignants se sentent préparés à mettre ce mandat en pratique dans leurs cours ainsi que de quelles façons notre Faculté d’éducation pourrait mieux intégrer l’enseignement des traités dans nos modes d’enseignement et d’apprentissage. Je fais appel aux écrits sur les épistémologies de l’ignorance pour tenter de comprendre la résistance à l’enseignement des traités qui continue d’émerger dans les conversations avec des pédagogues qui préfèrent ne pas soutenir ce projet.
J’ai récemment terminé, avec une équipe de chercheurs, un projet de recherche financé par le CRSH, « Storying Treaties and the Treaty Relationship: Enhancing Treaty Education through Digital Storytelling ». Nous avons travaillé avec quatre enseignants du primaire et leurs élèves pendant deux ans afin de créer des récits numériques illustrant l’apprentissage des traités et l’histoire des relations entre les Autochtones et les Canadiens. Les enfants ont produit des récits étonnants pour expliquer qui étaient « les personnes visées par les traités ». Une de nos enseignantes a d’ailleurs créé le site We are all Treaty People: An Ongoing Quest to Bring Treaty Education to the Classroom et je vous encourage à le visiter pour constater la richesse de l’enseignement des traités.
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