Deux solitudes jusque dans la mort, les cimetières du Mont-Royal et de Notre-Dame-des-Neiges (Première partie)
13 October 2014 - 9:38am
Première partie (1 de 2)
Alors que dans un dernier soubresaut les feuilles des arbres rougissent, que la froideur de l’hiver commence à se ressentir et que le mois des morts s’annonce, notre intérêt s’est arrêté sur l’histoire de deux des plus importants cimetières de Montréal, du Mont-Royal et de Notre-Dame-des-Neiges. Deux lieux de sépultures voisins sur les flancs de la montagne, mais différents par leur nature, celle de leur conception, de leur paysage, de leurs occupants.
Certes, le titre de l’article par sa symbolique est lourd de sens. Faut-il rappeler que cette expression qui provient du roman Two Solitudes (1945) de l’auteur anglo-québécois Hugh MacLennan (1907-1990), est passée dans le langage courant pour décrire les différences et différends entre les anglophones protestants et les francophones catholiques du Canada? Ce poids étant admis et, indirectement, la prudence qu’inspire son usage, est-ce que cette expression peut s’appliquer à leurs relations avec les défunts? L’objectif que nous poursuivrons ici est donc de cibler les possibles divergences, mais aussi les échanges, les emprunts, entre ses deux communautés face à ce sujet par le biais de l’histoire de ces deux cimetières.
Cette historiographie comparative sommaire commence donc au lendemain du Traité de Paris (1763) et de la Conquête. La tradition catholique, ici comme en France, est alors d’inhumer ad santos, c’est-à-dire près des saints. Disparité entre la noblesse, le clergé et la population, l’usage veut que l’église et sa crypte soient réservées, sauf exception, à ces premiers, alors que les anonymes rejoignent leurs homologues dans les charniers paroissiaux. La recherche de monuments funéraires pour identifier individuellement ces derniers est donc vaine, comme nous l’apprend l’analyse de gravures anciennes de lieux de sépultures, dont celles du Cimetière des Saints-Innocents, à Paris. Bien que l’exemple soit étranger, il explicite néanmoins cette absence ici de sépultures individuelles datant d’avant le milieu du XIXe siècle. En effet, l’identification des défunts par une inscription provient de la tradition protestante et l’usage n’en deviendra courant chez les catholiques qu’à ce moment. Ainsi, les sépultures du premier site d’inhumation de Montréal, ouvert le 9 juin 1643, et dont la conservation relève maintenant du Musée de la Pointe-à-Callières, restent partiellement anonymes nonobstant les anciens registres funéraires partiels et les travaux des archéologues et des historiens d’aujourd’hui.
Cette volonté d’être inhumé ad santos démontre aussi chez les catholiques, la considération qu’ils ont de l’église et de l’enclos paroissial comme centre de la vie sociale, alors que cette particularité ne semble pas exister chez les protestants. D’ailleurs, les presbytériens, une des branches du protestantisme, s’opposent à l’inhumation dans les cryptes ou les murs des églises. La présence de monuments funéraires orphelins ou d’enclos familiaux dans les campagnes, comme la stèle de l’homme d’affaires Simon McTavish (1750-1804) sur le flanc sud-est du Mont-Royal, expose plutôt leur habitude, celle des propriétaires protestants, de réserver une parcelle de leur terrain dévolue à l’ensevelissement de leurs défunts.
C’est dans ce cadre que se développe vers la fin du XVIIIe siècle, une volonté commune d’établir les cimetières à l’extérieur des murs de la Cité de Montréal. Ce seront principalement, pour les catholiques, celui du faubourg Saint-Antoine (1776), dont l’emplacement correspond aujourd’hui au square Dorchester et à la Place du Canada, et ceux, pour les protestants, du Dorchester Street Burial Ground (1797), l’actuel complexe Guy-Favreau, et, ultérieurement, le Military Cemetery (1814) et le St. Mary's Burial Ground (1815), qui se situaient approximativement aux abords de l’accès du pont Jacques-Cartier par l’avenue Papineau.
Mais, sous des préoccupations de santé publique, dont le conseil municipal entérine l’urgence le 6 juillet 1853, avec l’adoption du règlement 232, qui interdit les inhumations à l’intérieur des limites de la ville à partir du 1er mai suivant, se trouvent des réalités d’ordre identitaire beaucoup plus profondes. En effet, cette volonté de déplacer extramuros les lieux de sépultures chez les premiers, bien que dans le Québec catholique, la considération du lieu de communion comme épicentre de la vie restera présente dans les mentalités pendant plusieurs décennies, nous permet de nous interroger si elle ne correspond pas aussi à la disparition graduelle des grands dogmes, dont celui de la religion, qui résulte de l’avènement de la modernité au XVIIIe siècle. Malgré cela et probablement dû au fait que les changements qu’apportèrent les Lumières ne seront pas immédiat ici, les lieux de sépultures catholiques resteront consacrés, ce qui explique l’absence de suicidés ou d’excommuniés, dans les premiers temps, au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
Parallèlement, à ce même moment, dans le milieu protestant, naît une volonté d’imposer la culture et les institutions britanniques, mais aussi une recherche de faire de leurs cimetières des lieux multi-confessionnaux aptes à unifier la communauté, en dépit des profondes divergences existantes. Cette volonté d’accueil persistera lors de la création du cimetière Mont-Royal (photo ci-jointe de ce cimetière).
Cette volonté n’était par contre pas aussi présente chez les catholiques et se traduit parfois par un refus qui s’applique à ses propres membres, comme le prouve le traitement réservé au typographe et imprimeur Joseph Guibord (1809-1869). Effectivement, son corps reposa dans le charnier du Mont-Royal avant que ces restes soient transférés et inhumés en 1875, à Notre-Dame-des-Neiges, sur un lot désacralisé préalablement par l’évêque de Montréal, Monseigneur Ignace Bourget (1799-1885).
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