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Deux solitudes jusque dans la mort, les cimetières du Mont-Royal et de Notre-Dame-des-Neiges (deuxième partie)

Posted by Philippe Denis
18 November 2014 - 1:55pm

Pour lire la première partie de cet article, cliquez ici

Encerclés par la ville, l’avenir de ces cimetières de la première moitié du XIXe siècle, Saint-Antoine (1776), Dorchester Street Burial Ground (1797), Military Cemetery (1814) et St. Mary's Burial Ground (1815), ne pouvait donc être qu’incertain à long terme. Et, c’est dans ce contexte d’expansion municipale que commence à naître dans la première moitié du XIXe siècle, l’idée d’un grand cimetière regroupant catholique, juif et protestant. Mais, suite au retrait d’A. Larocque (sans date), représentant de l’Église catholique, durant l’hiver 1846-47, ce projet ne verra pas le jour. Ainsi, de ce scindement résultera les cimetières du Mont-Royal (1852) et de Notre-Dame-des-Neiges (1854).

Bien que leurs aménagements soient décrits comme de type rural, et que dans les deux cas, la disposition des sépultures transpose les réalités du monde victorien dans celui des défunts (division en sections qui accentuent les différences sociales, mausolées familiaux imposants, cadastres rappelant les maisons en rangées de la moyenne et petite bourgeoisie (photo ci-jointe du cimetière Notre-Dame-des-Neiges), anonymats des fosses communes), leur modèle d’inspiration diffère.

Pour comprendre l’influence mise de l’avant à Mont-Royal, il faut effectivement s’attarder aux travaux antérieurs de son premier paysagiste, l’anglais James C. Sidney (1819-1881), qui travailla aux agrandissements du cimetière de Mount Auburn, Massachussetts. Modelé sur le jardin anglais, ce dernier fut d’ailleurs conçu par la société d’horticulture de l’État. Et, cette conception initiale est toujours présente ici, car, à l’exception des sections plus récentes ou dévolues aux militaires, les monuments funéraires sont disposés de façon plus libre, voire aléatoire, ce que favorise le relief accidenté du terrain, tout en offrant des perspectives sur le nord de la ville. Par exemple, les deux imposants mausolées de la famille de John Molson (1763-1836), le fondateur de cette dynastie de brasseurs, profitent du profil escarpé de la montagne, tout comme celui de Sir George Alexander Drummond (1829-1910), pour y faire pénétrer leur chambre funéraire, alors que l’enclos bucolique de la famille de Sir Hugh Allan (1810-1882), entouré d’arbres où se perd l’obélisque surmonté d’une croix, domine au sommet d’un monticule et est visible par tous ceux qui empruntent l’allée qui relie l’entrée principale à la barrière sud. Cet emplacement n’est pas sans rappeler celui de sa résidence de Ravenscrag, qui domine les hauteurs et le Golden Mile Square, de l’autre côté de la montagne. D’ailleurs, dans la poursuite de cette volonté de transposer les réalités sociales du monde victorien dans la mort, les sépultures de plusieurs membres de cette influente communauté se retrouvent à proximité dans ce cimetière.

Quant à Notre-Dame-des-Neiges, comme l’expose La Miverne, dans un article du 14 décembre 1852, la Fabrique était « disposée à ne rien épargner » pour en faire « un second Père-Lachaise ». Mais, malgré l’expression de cette volonté, l’aménagement axial et symétrique qui prédomine à l’entrée principale et que traduit l’allée bordée d’arbres que surmonte un calvaire, est un legs de la présence de l’ordre des Sulpiciens, actifs en France et au Canada depuis le XVIIe siècle. De même, nous pourrions étendre cette influence dans la disposition ordonnée en rangées des sépultures.

À ce legs religieux qui caractérise ses premiers abords, ce cimetière est aussi marqué par une volonté d’affirmer un certain nationalisme canadien-français. Le monument commémoratif érigé par la Société Saint-Jean-Baptiste (1855), en l’honneur de son fondateur, le journaliste Ludger Duvernay (1799-1852), propriétaire du journal ci-haut mentionné, de même que le grand obélisque en souvenir des Patriotes de 1837-1838 (1858-1866), bien que le clergé dénonça les événements jusqu’en 1987, année où il réhabilita ces premiers, l’explicitent. À ces exemples, nous pourrions référer aussi à la présence des sépultures de Sir Louis-Hippolyte Lafontaine (1807-1864), politicien et défenseur de la langue française, d’Henri Bourassa (1868-1952), journaliste et politicien, et de Robert Bourassa (1933-1996), politicien, voire de bien d’autres.

Mais, à cette volonté nationaliste présente sur les premiers plans de l’architecte Henri-Maurice Perrault (1828-1903) de Notre-Dame-des-Neiges, où un emplacement indique déjà la présence de l’obélisque, alors qu’il n’est qu’un projet en 1854, comme l’expose l’architecte Mario Brodeur, dans Le Monument aux Patriotes, les lots offerts par la Fabrique pour l’érection de ces deux monuments le furent aussi pour favoriser la vente de concessions et l’embellissement du site.

De plus, Notre-Dame-des-Neiges se démarque par la présence d’une sculpture historiée profane et religieuse, possible qu’en raison d’une tradition figurative accrue (buste ou médaillon du défunt, pleureuse, ange, saint) chez les catholiques, alors qu’elle est presque inexistante chez les protestants. Et, c’est par ces éléments qu’il rejoint son modèle français.

Ainsi, il nous semble que l’étude des cimetières peut être associée certes à celle de l’évolution de notre relation avec nos défunts comme héritier des échanges ou non entre les catholiques et protestants, mais aussi à l’histoire et au patrimoine. Cette réalité, il semble que les historiens qui nous ont précédés et les différents paliers gouvernementaux l’ont admis, ne serait-ce que dans la reconnaissance des cimetières du Mont-Royal et de Notre-Dame-des-Neiges, ce dernier étant aujourd’hui la plus vaste nécropole du pays, par le gouvernement fédéral en 1998, comme un lieu historique national.

RÉFÉRENCES :

BISSON, Pierre-Richard, Mario BRODEUR, Daniel DROUIN et.al., Cimetière Notre-Dame-des-Neiges, Contrecoeur, Beauxlivres Henri Rivard, 2004, 192 pages.

BRODEUR, Mario, Guide des cimetières du Québec, Montréal, Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 2012, 334 pages.

BRODEUR, Mario, Le monument aux Patriotes, Montréal, Éditions de la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 2007, 51 pages.

MÉTAYER, Christine, Au tombeau des secrets Les écrivains publics du Paris populaire, cimetière des Saints-Innocents, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Bibliothèque Albin Michel, coll. « Histoire », 2000, 456 pages.

YOUNG, Brian, James GEOFFREY, Une mort très digne : l’histoire du cimetière Mont-Royal, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2003, 230 pages.