La recherche sur l’antiracisme, la recherche historique (Timothy J. Stanley)
Ma recherche historique s’inspire de ma trentaine d’années d’enseignement sur l’antiracisme. Un des défis de l’antiracisme est d’aider les gens à accepter la réalité du racisme au quotidien alors que cette réalité est absente de leur conscience historique. Le racisme est une exclusion basée sur la race et lorsqu’une personne, un groupe et leur vécu sont exclus, cela veut dire qu’ils ne font pas partie du bagage de connaissances générales sur le passé. L’histoire, comme le présent, est dominée par les privilégiés et cela génère des silences profonds sur la façon dont le racisme a façonné et continue de façonner notre monde.
Selon moi, cela présente un défi aux historiens, celui de documenter les exclusions racistes et les conséquences qui en découlent. Mon livre, Contesting White Supremacy: School Segregation, Anti-racism and the Making of Chinese Canadians (UBC Press, 2011), tente de remplir une partie de ce vide. Cette étude utilise des sources en langue chinoise pour documenter les conséquences de la racialisation et de l’exclusion de personnes d’origine chinoise au Canada et retrace la formation parallèle d’une nation canadienne suprématiste blanche et d’une nation chinoise nationaliste. L’étude documente l’invention d’une catégorie hybride de Sino-canadiens et le rôle de la résistance antiraciste telle que vécue par les étudiants chinois de Victoria, en C.-B., lors de la grève en 1922-1923. La Société historique du Canada et l’Association canadienne d’histoire de l’éducation ont reconnu les mérites de ce travail en lui accordant, respectivement, le prix Clio pour la Colombie-Britannique et le Prix des fondateurs pour un ouvrage en langue anglaise.
Ma recherche historique s’adresse aussi aux enseignants d’histoire. La conscience historique, incluant la conscientisation des exclusions historiques et de leurs conséquences, constitue ultimement la clé pour faire circuler le savoir sur les expériences de racisme et entreprendre une transformation par rapport au racisme. La conscience historique et son développement sont au cœur de ma recherche actuelle qui explore les liens entre les paysages contemporains formés par la mémoire sociale, la négation du racisme et la création du savoir sur le passé.
Par exemple, l’imaginaire nationaliste canadien célèbre constamment John A. Macdonald, et ce, même si ses opinions sur la population racialisée chinoise étaient parmi les plus extrémistes de son époque. Il avait même affirmé, lors d’un débat à la Chambre des communes en 1885, que les Chinois formaient une autre espèce que les Européens. Ce débat portait sur L’Acte du cens électoral, une législation dont il a dit qu’elle était son plus grand triomphe. En retirant le vote aux Chinois racialisés, il a fait de la suprématie blanche un principe fondateur de la nation canadienne. Cependant, sont absentes de la mémoire nationale les personnes qui ont perdu le droit de vote, tel que Won Alexander Cumyow, né dans un lieu qui allait devenir le Canada, mais qui n’a pu exercer son droit de vote pendant 88 ans, ayant dû attendre les élections fédérales de 1949 pour le faire.
Ainsi, il me semble que le projet antiraciste des historiens et des enseignants d’histoire consiste à rechercher, publier et diffuser ce qui a été exclu. Ce faisant, nous pourrons créer de nouveaux cadres de représentation du passé qui permettront à tous les jeunes d’explorer et de comprendre leur histoire personnelle, celle de leurs familles et de leurs communautés ainsi que les liens complexes qui les unissent à leurs voisins et aux peuples du monde entier.
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