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« Se mettre dans la peau de… »

Posted by Chantal Rivard
15 February 2013 - 1:26pm

« Se mettre dans la peau de… »

Combien de fois ai-je entendu des collègues dire aux jeunes pubères qui se trouvaient devant eux de s’imaginer être à la place de Colomb découvrant un univers inconnu.  Des Romains voyant pour la première fois une armée soutenue par des éléphants conduits par Hannibal. Des premiers colons survivant à leur premier hiver en sol nord-américain. Des Noirs subissant la politique de ségrégation étasunienne.  Comme si se mettre à leur place nous permettaient de mieux saisir le passé.  Même que Espin, Cevasco, van den Broek, Baker et Gersten (2007), dans leur étude sur l’effet de l’histoire-récit sur la compréhension de l’histoire par des élèves en difficulté d’apprentissage, vont jusqu’à suggérer que ce type de questions aiderait les élèves à construire des récits sur les personnages historiques.  Si je peux admettre que des questions qui demandent à l’élève de s’imaginer être à la place d’un personnage historique dans une époque plus ou moins lointaine peuvent le soutenir dans sa construction d’un récit grâce au réseau causal d’événements qu’elles permettent de développer, nous devons admettre que nous sommes loin ici de l’empathie historique.  Ces questions comportent le risque de transporter, non seulement l’élève dans une autre époque, mais toute sa contemporanéité, les valeurs de la société moderne qui l’habitent, de même que les croyances auxquelles il adhère.  C’est le présentivisme qui risque donc de tracer la ligne du récit narratif historique que l’élève établira grâce à ce type de questions.  L’empathie historique n’implique pas l’imagination, l’identification ou la sympathie.  Elle demande de la perspective, du recul.  Il s’agit de s’attacher à comprendre le passé avec les valeurs, les croyances qui l’habitaient.  Comme le précise Foster (2001), si l’inférence et la spéculation jouent un rôle dans un récit historique bâti par un historien, l’empathie historique n’est pas un processus ancré dans l’imagination.  Ces questions qui impliquent émotionnellement les élèves développent une sympathie pour l’histoire et ses personnages.  Et si la sympathie peut certes servire en classe d’histoire, l’implication émotionnelle qui la soutient peut empêcher les élèves de développer un processus de raisonnement basé sur les faits historiques (Foster, 2001) et ainsi mettre en péril le développement d’une pensée historique qui servira aux citoyens que ces élèves deviendront.  Quelle belle jambe ça nous fera de savoir qu’ils peuvent s’imaginer avoir été un matelot de Magellan s’ils n’arrivent pas à élaborer le contexte dans lequel s’est déroulée l’expédition de l’explorateur portugais!  C’est un peu comme leur faire apprendre un texte d’Alfred Jarry, tenter de leur faire ressentir les émotions des personnages, tout en les installant dans le décor d’une tragédie grecque… Et on s’étonnera après qu’ils ne maîtrisent pas l’histoire et ces processus intellectuels!

 

Bibliographie

Espin, C.A., Cevasco, J., van den Broek, P., Baker, S., Gersten, R. (2007). History as Narrative: The Nature and Quality of Historical Understanding for Students With LD. Journal of Learning Disabilities 40, 174-182.

 

Stuart J. Foster, Historical Empathy in Theory and Practice : Some Final Thoughts. Dans Davis Jr, O. (2001), Historical Empathy and Perspective Taking in the Social Studies,  p. 167-181.