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Une activité d’empathie historique et son évaluation (Empathie historique 2 de 3)

Posted by Marc-André Lauzon
21 August 2012 - 11:28am

Finalement, le moment tant attendu! La présentation d’une activité d’empathie historique. Dans cette activité, les élèves ont la tâche de se placer dans la peau de Jean Talon, le premier Intendant de Nouvelle France.
 
Voici le lien pour télécharger l’activité et deux grilles différentes que vous pouvez utiliser pour évaluer vos élèves.
 
L’intention pédagogique
 
L’activité a deux intentions pédagogiques. La première est le développement de la pensée historique, alors que la deuxième veut travailler les caractéristiques de la perspective historique. En d’autres mots, la première vise une compétence et la seconde des connaissances. Pour ma part, les deux aspects sont tout aussi importants, mais dépendamment de votre vision, vous n’avez qu’à ajuster la pondération.
 
Dans le cas de cette activité d’empathie, les connaissances sont les éléments qui caractérisent le peuplement de la Nouvelle France pour les périodes allant de 1608 à 1663 et de 1663 à 1760.
 

L’évaluation de l’activité
 
Pour évaluer la pensée historique, j’ai élaboré deux échelles. La première est utilisée pour évaluer les éléments d’empathie historique qui se trouvent dans la production de l’élève. La seconde a été construite pour évaluer la dernière partie du travail, celle où l’élève caractérise le fossé qui existe entre le présent et le passé.
 
Pour évaluer les caractéristiques de la perspective historique, c’est-à-dire les connaissances, j’ai utilisé deux critères.
 
L’évaluation de l’empathie historique
 
L’évaluation de l’empathie historique nécessite que l’évaluateur possède une très bonne connaissance de la perspective historique. Sans ces connaissances, il sera incapable de se placer dans la peau du personnage. De plus, l’évaluateur doit avoir développé sa pensée historique, c’est-à-dire d’avoir une bonne compréhension de la nature de la discipline historique. Pour les enseignants du Québec, vous pouvez classer cette échelle dans la première compétence disciplinaire, et ce, sans aucune incertitude, car les critères sont très explicites. Lorsque j’aurai des informations pertinentes sur les changements pédagogiques qui se dérouleront à l’automne 2011, et j’en aurai très bientôt, je ferai une mise à jour. Toutefois, parce qu’il s’agit de développer la pensée historique, il est aussi possible d’insérer cette échelle dans la deuxième compétence disciplinaire.
 
Échelon 5
 
L’apprenant adopte entièrement un point de vue historique dans le fond et dans la forme de la production : en se détachant complètement du présent,il indique des croyances et des attitudes en adoptant le point de vue social et culturel de la perspective.
 
Échelon 4
 
L’apprenant adopte en grande partie le point de vue historique dans le fond et dans la forme de la production : il indique des croyances et des attitudes, mais il a du mal à se détacher du présent lorsqu’il adopte le point de vue social et culturel de la société.
 
Échelon 3
 
L’apprenant adopte généralement le point de vue historique dans la forme et dans le fond de la production : il indique des croyances et des attitudes, mais il reste ancré dans le présent lorsqu’il adopte le point de vue social et culturel de la société.
 
Échelon 2
 
L’apprenant adopte plus ou moins le point de vue historique dans la forme et dans le fond de la production : il indique des croyances et des attitudes qui demeurent ancrées dans le présent.
 
Échelon 1
 
L’apprenant adopte peu ou pas un point de vue historique : il n’indique pas de croyances et d’attitudes représentant la société et son interprétation demeure ancrée dans le présent. Le fossé entre le présent et le passé n’est pas pris en compte par l’élève
 
Sans trop décortiquer les critères, voici quelques lignes directrices.
 
« Le point de vue historique dans la forme et dans le fond » c’est l’émulation empathique. La forme c’est la manière dont le personnage s’exprime, mais aussi la présentation du document. Par exemple, un élève qui écrit dans son entête « Jean.baptiste.colbert@france.fr » est dans l’erreur. Pour sa part, le fond regroupe les caractéristiques de la perspective historique. Par exemple, un élève qui écrit « Mort au Roi de France », alors qu’il se place dans la peau de Jean Talon, ne tient pas compte de la perspective temporelle, mais surtout du personnage.
 
« Détacher du présent » et « Ancré dans le présent » sont des termes pour dire que l’élève a fait ou n’a pas fait abstraction de se propre culture dans l’émulation empathique. Par exemple, un élève qui écrit « lol » ne fait pas abstraction de sa propre culture.
 
L’évaluation de la prise en compte du fossé
 
Est-ce que l’élève a compris qu’il existe un fossé entre le présent et le passé, et est-il capable de le caractériser? Voici l’intérêt de cette échelle et à l’inverse de l’empathie historique, cette opération, hors contexte, permet de valider et d’évaluer le raisonnement intellectuel de l’élève. Lors des explications, n’ayez pas peur de spécifier vos attentes.
La grille parait très simple et permissive, mais vous verrez en corrigeant que ce n’est vraiment pas évident pour un élève de verbaliser les opérations ayant trait à sa pensée historique.
 
Échelon 5
 
L’élève explique les différences qui existent entre le présent et le passé : Il caractérise le fossé en tenant compte de l’évolution temporelle des éléments politiques, économiques, culturels, etc.
 
Échelon 4
 
L’élève explique les différences qui existent entre le présent et le passé, mais sa réponse est plus ou moins précise et complète : il caractérise le fossé en tenant compte de l’évolution temporelle des éléments politiques, économiques, culturels, etc, mais sa ééponse plus ou moins précise et complète.
 
Échelon 3
 
L’élève comprend qu’il existe des différences entre le présent et le passé : il souligne le fossé sans l’expliquer.
 
Échelon 2
 
L’élève comprend qu’il existe des différences entre le présent et le passé, mais sa réponse est plus ou moins précise et complète : il souligne le fossé sans l’expliquer, mais sa réponse plus ou moins précise et complète.
 
Échelon 1
 
L’élève ne comprend pas qu’il existe des différences entre le présent et le passé : il ne tient pas compte du fossé.
 
L’évaluation des éléments pertinents.
 
L’évaluation des éléments pertinents se divise en deux critères. L’enseignant doit évaluer la pertinence des faits et il la qualité des liens.
 
Pour les éléments pertinents ainsi que les liens, l’enseignant dispose de plusieurs types de grilles d’évaluations et il peut aussi accorder plus d’importance à un critère ou un autre. Pour ma, part, j’accorde toujours plus d’importance à la qualité des liens, car établir des causes et des conséquences est beaucoup plus difficile que de nommer un élément pertinent particulier. Aussi, vous pouvez donner la liste des caractéristiques que vous voulez que l’élève insère dans l’émulation empathique. Ainsi, l’élève saura où se diriger et il pourra passer plus de temps à travailler les liens et l’empathie. De plus, s’il y a un élément qu’il ne connaît pas, il lui sera nécessaire de se documenter pour l’insérer dans son travail.
Pour la pondération, allez-y selon votre intention pédagogique. Si vous préférez que l’élève développe ses connaissances plutôt que la partie empathique, accordez plus de points à cette section. N’oubliez jamais que pour travailler une compétence, il est obligatoire d’avoir de bonnes connaissances. D’ailleurs, j’y reviendrai sur ce point dans un article futur.
 
Comment évaluer
 
Il y a une précaution très importante à prendre lorsqu’un enseignant évalue l’activité d’empathie historique : il doit distinguer l’émulation empathique des faits pertinents. Dans le cas de l’émulation empathique, il s’agit de la première compétence disciplinaire, alors que les faits pertinents appartiennent à la deuxième compétence disciplinaire (du moins dans le contexte du programme de formation québécois). Toutefois, il faut comprendre que les deux éléments sont synergiques.
 
Voici des exemples de réponses qui peuvent être utilisées dans l’activité de correspondance entre Jean Talon et Jean Baptiste Colbert. Notez que les premiers exemples sont tranchés au couteau et que vous n’aurez probablement pas ce type de production, mais je l’ai fait pour que vous puissiez voir de quoi il s’agit.
 
Lettre avec seulement de l’Empathie historique
 
« MonseigneurJean-Baptiste Colbert,
 
Notre majesté, notre bon Roi, a raison d’être préoccupé par la situation. Ici, et je m’en inquiète énormément, il n’y a pas beaucoup de colons, parce que les précédents administrateurs ont préféré s’enrichir plutôt que de servir les intérêts de notre Majesté. De plus, en raison de la température hivernale très désagréable et des dangers qui nous préoccupent quotidiennement, peu d’hommes veulent rester ici, alors imaginer ces pauvres femmes qui n’ont pas la même résilience que nous. »
 
Ici, l’empathie est le témoignage de Jean Talon. On ressent qu’il est préoccupé par la situation en Nouvelle France. Il décrit la vie, du moins, les éléments qui touchent aux émotions et aux individus. Toutefois, il manque les éléments pertinents qui sont reliés à la recherche historique et le texte ne répond pas clairement à la question qui est présente dans l’activité. Conséquemment, l’élève aurait atteint l’échelon 5 de l’empathie historique, mais n’aurait eu aucun point pour les éléments pertinents. Notez qu’il aurait été possible d’écrire le texte en vieux français, mais le faire complexifie significativement l’activité.
 
Lettre avec seulement des éléments pertinents
 
« Nouvelle France, Québec
 
9 septembre 1665,
 
Il n’y a pas beaucoup de colons qui ont traversé l’Atlantique pour venir s’installer en Nouvelle France. Les Compagnies, comme celle des Cents-Associés, qui ont administré la colonie pendant cinquante ans n’ont pas rempli leurs devoirs de colonisation. Elles ont utilisé de la main-d’œuvre autochtone plutôt que de faire venir des colons de France. De plus, il n’y a presque pas de femmes, alors l’accroissement naturel est très faible. Finalement, il y a les Iroquois qui attaquent des villages. »
 
Ici, le texte est rempli d’éléments pertinents, mais il aurait pu être écrit par l’un de nos contemporains. On dirait beaucoup plus une synthèse qu’un texte d’époque. De plus, Jean Talon ne salue par Colbert, son supérieur, l’homme le plus important après le Roi de France. Finalement, je doute que Jean Talon aurait utilisé le concept d’« accroissement naturel ».
 
Empathie historique + Éléments pertinents :
 
« Nouvelle France, Québec,
 
Fait à Québec, ce neuvième septembre 1665
 
Monseigneur Jean-Baptiste Colbert,
 
Monseigneur, notre bon Roi Louis XIV a bien raison d’être préoccupé par la situation de sa colonie. Il est bien évident que son immense territoire ne pourrait pas résister très longtemps à une invasion anglaise.
 
Ici, et je m’en inquiète énormément, il n’y a pas beaucoup de colons qui ont traversé l’Atlantique pour venir s’installer en Nouvelle France. Les Compagnies, comme celle des Cents-Associés, qui ont administré la dite colonie pendant près de cinquante années n’ont par rempli leurs devoirs de colonisation. Plutôt que de servir les intérêts de Sa Majesté, ils ont préféré s’enrichir en utilisant les autochtones déjà présents sur place.
 
En raison d’une température hivernale moins clémente qu’en France, d’un territoire vierge peu accueillant et de la menace constante des Iroquois, peu d’hommes prennent la décision de s’établir ici. Monseigneur Colbert, si les hommes peinent à s’installer ici, alors, je vous prie d’imaginer à quel point il est difficile pour les femmes, moins résilientes que nous, de venir en Nouvelle France. Pour cette raison, les hommes sont incapables de prendre femme et les naissances sont rares. »
 
Ici, les éléments pertinents justifient le témoignage en précisant davantage la situation de la Nouvelle-France. En identifiant et en incorporant les caractéristiques de la perspective historique, l’apprenant se les approprie, car il les place dans un contexte qui est celui de l’émotion. De plus, l’empathie sert à justifier l’élément pertinent et vice-versa.
 
Pour mieux comprendre, voici trois exemples :
 
1.1 « […] Vous avez raison d’être inquiet de la situation au Québec. […] »
Erreur reliée à l’élément pertinent. Le terme « Nouvelle-France » était utilisé dans les correspondances de Jean Talon. En écrivant « Québec », l’apprenant fait la démonstration qu’il n’a pas acquis les connaissances territoriales et chronologiques nécessaires
 
1.2 « […] Vous n’avez pas raison d’être inquiet de la situation en Nouvelle-France […] »
 
Erreur reliée à l’élément empathique. Le contexte dicte à l’apprenant que la situation de la Nouvelle-France est précaire, et ce, en raison de l’intervention du roi en 1663, parce que les Compagnies n’ont pas rempli leur mandat relié au peuplement. Ici, le problème c’est l’émulation émotionnelle reliée à l’inquiétude.
 
1.3 « […] Vous avez raison d’être inquiet de la situation, car nous avons beaucoup de colons en Nouvelle-France […]»
 
Erreur reliée à l’élément pertinent. Comme au point 1.2, la démographie est en cause. Toutefois, le fait n’est pas pertinent, car il n’y avait pas beaucoup de colons.
 
Conclusion
 
Comme vous pouvez le constater, il n’est pas toujours facile pour un élève de faire preuve d’une véritable empathie historique et cette difficulté se transpose dans l’évaluation des activités visant justement le développement de cette composante de la pensée historique. Lors du prochain article, il sera justement question des difficultés à faire et à évaluer l’empathie historique.