Un commentaire sur les usages de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille dans l'espace public
5 February 2016 - 12:48pm
Dans une chronique intitulée « La nouvelle Grande Noirceur », Mathieu Bock-Côté tient des propos durs à l’endroit de la situation actuelle sur la francisation au Québec. Écoutons-le :
« Si, dans mes vieux jours, je me décidais à prendre la plume pour écrire l’histoire de notre peuple, j’aurais bien de la misère à ne pas parler des années présentes comme de celles d’une nouvelle Grande Noirceur. »
Plus loin, il poursuit, en souhaitant « qu’arrive une nouvelle Révolution tranquille ».
Mathieu Bock-Côté illustre ici ma théorie sur les usages de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille dans l’espace public au Québec : la Grande Noirceur est susceptible d’être utilisée par tout un chacun, peu importe le contexte, tandis qu’il en va autrement de la Révolution tranquille. C’est donc dire que la Grande Noirceur est plurielle (dans ses usages), alors que la Révolution tranquille est au contraire singulière – au mieux, parlera-t-on d’une Révolution tranquille « à venir ». J’y reviendrai.
Ce qui est particulier, c’est que Mathieu Bock-Côté a déjà été des plus critiques des usages de la Grande Noirceur – et de la Révolution tranquille – par le passé. Lui-même écrivait, il y a quelques années de cela, que le mythe de la Grande Noirceur « falsifiait le passé canadien-français en le caricaturant grossièrement et créait les conditions d’une crise identitaire de longue durée en rompant radicalement les liens entre le Québec moderne et son héritage historique ».
C’est dans cet esprit qu’il a salué à maintes reprises les travaux d’un Éric Bédard, qui considère, que « [m]alheureusement, trop de Québécois semblent croire que leur passé se résume à une désespérante ‘grande noirceur,’ sans grand intérêt pour le présent ou pour l’avenir. Grave erreur. »
Or, cela n’empêche pas Mathieu Bock-Côté, en ce 29 janvier 2016, de parler à son tour de la Grande Noirceur – d’une « nouvelle » Grande Noirceur à vrai dire.
Cela dit, il est tout de même intéressant de s’arrêter à la manière dont Mathieu Bock-Côté et d’autres articulent la Grande Noirceur et la Révolution tranquille dans leur argumentaire. La formule est plutôt simple : pour servir ses intérêts ou son discours, on présente une situation donnée comme une « nouvelle Grande Noirceur », dans le but clair d’aller chercher, de faire réagir ses lecteurs ou son auditoire. En retour, pour mettre un terme à cette « nouvelle Grande Noirceur », on en appelle à l’avènement d’une « nouvelle Révolution tranquille ».
La Grande Noirceur est un concept élastique. Il est possible, comme Mathieu Bock-Côté et d’autres le font, sur Twitter notamment, de l’appliquer à une situation donnée, à une période ou une autre, et de décréter qu’il s’agit d’une « nouvelle Grande Noirceur »… et voilà, le tour est joué. Ou presque. C’est en considérant ces usages multiples que je parle dans mes travaux du caractère pluriel de la Grande Noirceur.
Pour ce qui est de la Révolution tranquille, c’est différent. Elle demeure unique, singulière. On ne peut pas la déplacer à notre guise dans l’histoire et la mémoire du Québec. Ce qu’il est possible de faire, par contre, c’est de souhaiter l’avènement d’une « autre » Révolution tranquille, d’une « nouvelle » Révolution tranquille – d’une Révolution tranquille « à venir », en somme. Une Révolution tranquille qui reste toutefois à définir.
J’aborde davantage la chose dans le prochain dossier de la revue Argument dans un texte intitulé, justement, « La Révolution tranquille à venir ».
- Se connecter ou créer un compte pour soumettre des commentaires