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Un blogue sur la pensée historique

Posted by Geneviève Goulet
15 September 2013 - 3:14pm

Sans se tromper, on peut prétendre qu’il existe presqu’autant de définitions de la pensée historique qu’il existe d’auteurs.

 

Les recherches empiriques autant que théoriques sur le concept de la pensée historique font partie des préoccupations de la didactique de l’histoire. Les chercheurs et didacticiens de l’histoire, de partout dans le monde, nous proposent plusieurs définitions de la pensée historique. En tant qu’enseignante au secondaire et étudiante à la maîtrise en éducation, je m’intéresse aux études récentes en lien avec la pensée historique. Dans ce blogue, je présenterai, au cours des prochains mois, les fondements et les éléments communs des différentes définitions de la pensée historique de manière à distinguer la pensée historique des autres termes utilisés en didactique de l’histoire, notamment la conscience historique, la pensée critique, la pertinence historique, l’attitude historique, la méthode historique, etc.

 

Selon Déry (2008), toute définition de la pensée historique est teintée d’une variété d’interprétations personnelles de la part des différents auteurs sur le sujet. À cela, il faut nécessairement prendre en compte l’importance des contextes social et curriculaire, c’est-à-dire, des divers programmes de formation en histoire. Sans se tromper, on peut prétendre qu’il existe presqu’autant de définitions de la pensée historique qu’il existe d’auteurs. Comment s’y retrouver parmi toutes ces définitions? Quels sont les fondements qui ont permis aux auteurs d’élaborer leurs définitions respectives ? Malgré les différences identifiables entre les définitions de la pensée historique, l’on se doit de noter que plusieurs aspects convergent. Quelles sont donc ces similitudes qui se dégagent des définitions issues de mes lectures ?

 

Avant de pouvoir comparer les différentes définitions de la pensée historique, je dois tout d’abord indiquer les fondements théoriques puisqu’il en ressort des éléments communs. Les auteurs, issus de mes lectures, se divisent en deux catégories : des auteurs anglophones provenant du Canada anglais et des États-Unis et des auteurs francophones provenant de l’Europe (Suisse), de l’Afrique (Maroc) et du Canada (Québec). Afin de bâtir leur propre définition de la pensée historique, ces auteurs se sont penchés sur des travaux d’historiens (volet disciplinaire) et de didacticiens (volet pédagogique). Ainsi, je remarque que les auteurs anglophones tels que Seixas et Peck (2004) et Wineburg (2001) se référent principalement aux travaux d’historiens ou didacticiens anglophones tels que Peter Lee, Rosalyn Ashby (Angleterre), Keith Barton, Stuart J. Foster, Elizabeth A. Yeager, Linda Levstick, Bruce VanSledright, Gaea Leinhardt, Ken Osborne, etc. De leur côté, les auteurs francophones tels que Idrissi (2005), du Maroc, et Heimberg (2011), de la Suisse, vont davantage puiser leurs références historiques et didactiques dans la francophonie. Leurs inspirations se basent sur des auteurs tels qu’Antoine Prost, Henri Moniot, Christian Laville, André Ségal, Nicole Lautier, Nicole Tutiaux-Guillon, Lucien Febvre, etc. Par contre, Martineau (1999), du Québec, se distingue des autres auteurs dans ses écrits car il cite à la fois des auteurs francophones et anglophones. La langue serait-elle une entrave aux recherches relatives à la pensée historique ? Je remarque que malgré les limites qu’impose la langue, les différents auteurs partagent, tant du côté anglophone que francophone, plusieurs principes de la pensée historique que nous développerons au cours de ce blogue. Autrement dit, même si les fondements proviennent de deux origines différentes, nous retrouvons plusieurs aspects convergents dans les différentes définitions de la pensée historique.

À suivre...

 

 

Déry, C. (2008). Étude des conditions du transfert, du contexte scolaire au contexte extrascolaire, d’un mode de pensée d’inspiration historienne chez des élèves du 3e cycle primaire. (Thèse de doctorat en éducation inédite). Université du Québec à Montréal, Montréal, QC.

 

Heimberg, C. (2011). L'enseignement de l'histoire dans un pays d'immigration: la Suisse. Dans R. L. Facal, & al. (Éds), Pensar históricamente en tiempos de globalización. Actas del I congreso international sobre enseñanza de la historia (30 juin-2 juillet 2010), Saint-Jacques-de-Compostelles : Publications de l'Université, 21-35.

 

Idrissi Hassani, M. (2005). Pensée historienne et apprentissage de l’histoire. Paris : l’Harmattan.

 

Martineau, R. (1999). L'histoire à l'école, matière à penser. Paris : L'Harmattan.

 

Seixas, P., & Peck, C. (2004). Teaching historical thinking. Dans A. Sears, & I. Wright (Éds.), Challenges and Prospects for Canadian Social Studies (pp. 109-117). Vancouver : Pacific Educational Press.

 

Wineburg, S. (2001). Historical Thinking and Other Unnatural Acts. Philadelphie: Temple University Press.

 

 

 

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La pensée historique et ses liens avec la pensée critique

Les auteurs qui ont tenté de définir la pensée historique ont établi des relations entre cette dernière et la pensée critique. Nous retrouvons ces liens avec la pensée critique (critical thinking) sous diverses appellations : esprit critique (Martineau, 1999), dimension éthique (Seixas et Peck, 2004), critique des usages culturels et médiatiques de l’histoire (Heimberg, 2002), analyse de sources primaires (Wineburg, 2001), etc. Or, quelle est la nature véritable des relations entre la pensée historique et la pensée critique? Lefrançois et Demers (2009) nous indiquent que la pensée critique peut servir de support à l’exercice d’une pensée historique, en autant qu’on y mette «l’accent sur le développement des habiletés intellectuelles et critiques comme finalités de l’apprentissage de l’histoire.» D’autres plutôt, comme Seixas et Peck (2004), mettent le relief sur ce qui distingue la pensée historique (propre à la discipline de l’histoire) de la pensée critique (générique et transdisciplinaire). Pour les citer :

«Thinking in social studies is too often defined in terms of generic critical thinking or information processing approaches. Following that line of reasoning leaves only the facts about the past as anything specifically historical. The argument here is that historical thinking involves certain distinct problems that cannot be collapsed into a more generic critical thinking.» (p. 116).

 

Comme la définit Gagnon (2011), la pensée critique est une pratique évaluative fondée sur une démarche réflexive, autocritique et autocorrectrice. Celle-ci implique donc la mobilisation et la combinaison efficaces de différentes ressources dans le but de déterminer ce qu’il y a lieu de croire ou de faire, le tout, en considérant attentivement les critères de choix et les diversités contextuelles. Partant de là, il est possible d’établir plusieurs relations entre la pensée historique et la pensée critique. En voici un bref aperçu. D’abord, des composantes distinctes et spécifiques sont associées aux deux types de pensée. Faire preuve de pensée historique et critique consiste également à mettre en œuvre des processus, processus s’articulant autour de différents verbes d’action. Ainsi, les concepts de la pensée historique de Seixas et Morton (2013) s’établissent autour de verbes d’action, par exemple, établir la pertinence historique ou identifier la continuité et le changement. Quant à elle, la pensée critique s’articule aussi autour de verbes d’actions tels qu’établir des critères, contextualiser ou s’autocritiquer. Bref, une similitude entre la pensée historique et la pensée critique existe dans l’utilisation réciproque de verbes d’actions semblables. De nombreux autres exemples de liens entre la pensée historique et la pensée critique pourraient être apportés.

 

Au Québec, dans son programme de formation de l’école québécoise (PFEQ), le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS, 2004), range le jugement critique dans la catégorie des compétences transversales. Le MELS appuie de ce fait le développement de la pensée critique. Cela implique que tous les enseignants doivent veiller à ce développement, dont forcément ceux qui enseignent en univers social le cours Histoire et éducation à la citoyenneté (HÉC). Le sens critique est aussi inclus dans l’énumération des compétences propres au programme d’univers social. Ainsi, selon la compétence 1 : Interroger les réalités sociales dans une perspective historique, «la perspective historique [...] se traduit par un état d’esprit qui permet aux élèves d’être sensibles aux réalités sociales tout en adoptant une distance critique à leur égard.» (MELS, 2007, p. 11). Le développement de la pensée historique étant l’une des préoccupations du cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté, il apparaît évident d’établir des liens directs entre les différentes compétences en histoire et la pensée critique.

 

Références:

Gagnon, M. (2011). Vers une heuristique des relations systémiques entre pensée historique et pensée critique. Dans Marc-André Éthier, David Lefrançois et Jean-François Cardin (dir.) Enseigner et apprendre l’histoire : manuels, enseignants et élèves (p. 429-456). Québec : Les presses de l’Université Laval.

 

Heimberg, C. (2002). L’histoire à l’école : Modes de pensée et regard sur le monde. Issy-les Moulineaux : ESF éditeur.

 

Lefrançois, D. & Demers, S. (2009). Recoupements et disjonctions entre le Programme de formation à l'école québécoise, domaine de l'histoire et de l'éducation à la citoyenneté (HEC) au secondaire, et les Benchmarks of Historical Thinking (BHT), Repères de la pensée historique. Vancouver : Centre for the Study of Historical Counsciousness.

 

Martineau, R. (1999). L'histoire à l'école, matière à penser. Paris : L'Harmattan.

 

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2004). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, 1er cycle. Québec : Gouvernement du Québec.

 

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2007). Programme de formation de l’école québécoise du domaine de l’univers social : Histoire et éducation à la citoyenneté. Québec : Gouvernement du Québec.

 

Seixas, P., & Morton, T. (2013). Les six concepts de la pensée historique. Montréal : Modulo.

 

Seixas, P., & Peck, C. (2004). Teaching historical thinking. Dans A. Sears & I. Wright (Eds.), Challenges and Prospects for Canadian Social Studies (p. 109-117). Vancouver: Pacific Educational Press.

 

Wineburg, S. (2001). Historical Thinking and Other Unnatural Acts. Philadelphie: Temple University Press.