Un apprentissage signifiant en histoire (Samantha Cutrara)
« Mademoiselle, est-ce que je peux dire que pendant la Première Guerre mondiale l’idée d’être à la maison était une perspective à la fois opprimante et nostalgique? »
Je me suis arrêtée. J’étais sur le point de m’éloigner. Cet élève venait tout juste de me demander la définition du mot opprimant et de la façon dont son regard se portait au loin, semblait détaché, j’ai hoché la tête sans y penser; à cause de la façon dont il penchait la tête pendant ma présentation, dont il se déplaçait à contrecœur vers son groupe, dont il avait tardé à se procurer le matériel requis pour l’activité, je pensais qu’il ne portait pas attention. Je pensais qu’il passerait la période à déchiffrer péniblement une des nombreuses lettres que je leur avais fournies et qu’il ne s’embêterait pas à faire le travail demandé. Je pensais qu’il était une cause perdue.
Après avoir perçu de la confusion et de l’indifférence et avoir jugé le tout comme une perte de temps, j’ai pourtant réalisé que j’avais tort. J’ai vu que non seulement il portait attention, mais qu’il avait réfléchi. J’ai vu qu’il avait fait des liens. J’ai vu qu’il avait interprété ce qu’il avait lu à partir de ce qu’il savait et qu’il avait créé un énoncé réfléchi, et touchant, sur sa perception de ce que pouvait être la maison familiale pour un soldat de la Première Guerre mondiale et pour sa famille au loin. J’ai vu qu’il avait appris et qu’il était capable de faire des liens porteurs de sens.
J’ai enseigné l’histoire pendant 15 ans et j’ai fait de la recherche pendant 10 de ces 15 années. Mon intérêt s’est toujours porté sur les élèves. Je cherchais à savoir si l’histoire qu’ils apprennent mérite le temps qu’ils y passent et leur respect. Mon travail consiste à créer des occasions permettant aux élèves d’apprendre des choses signifiantes à partir et au sujet de récits historiques. Tout au long de mes recherches et de ma pratique en didactique de l’histoire, j’ai cherché à faire des élèves et de l’apprentissage signifiant le point central de la conversation. J’ai insisté pour que leurs voix donnent le ton à ce qui peut se passer en classe aujourd’hui et à ce qui peut s’y passer à l’avenir.
Je définis comme un apprentissage signifiant en histoire tout apprentissage porteur de sens dans la vie présente et future des élèves, à l’intérieur et à l’extérieur du milieu scolaire, un apprentissage où les interprétations du passé ajoutent à leur compréhension de l’histoire à l’échelle familiale, communautaire ou planétaire. Au cours de ma recherche doctorale (York University, 2012), j’ai découvert que les élèves désirent donner un sens à l’histoire, mais que, dans le passé, leurs expériences d’apprentissage ont souvent limité les occasions d’utiliser leur plein potentiel pour y arriver. Ma recherche m’a permis de constater que même les enseignants qui voulaient offrir des occasions d’apprentissage signifiant à leurs élèves catégorisaient souvent ces mêmes élèves dans des « rôles déterminés par les programmes », soit des apprenants de « par cœur » plutôt que des penseurs intéressés, limitant ainsi les occasions de créer des liens signifiants avec l’histoire.
Comme d’autres chercheurs avant moi, je me fais l’écho des résultats de recherche selon lesquels l’enseignement de l’histoire doit s’accomplir dans un mode actif et collaboratif au cœur duquel se retrouve la contribution étudiante. Avec à sa tête des enseignants intéressés à fournir des « soins critiques » à leurs élèves, cet enseignement doit permettre aux élèves de dialoguer avec le contenu historique afin qu’il devienne porteur de sens, et ce, dans un environnement pédagogique qui se veut patient et aidant. Un apprentissage signifiant à l’aide de récits historiques n’est pas que contenu ou enseignement; il est basé sur une interaction relationnelle entre l’enseignant, l’élève et l’apprentissage, où l’enseignant est le moteur qui transforme sa classe en communauté d’apprentissage.
Conséquemment, au lieu de se concentrer exclusivement sur le contenu ou l’enseignement, la recherche en didactique de l’histoire doit porter sur l’enseignement et l’apprentissage comme des interactions personnelles ayant une influence sur la façon dont les élèves (et les enseignants) acquièrent des connaissances sur eux-mêmes, sur les autres, sur le présent et sur le passé. C’est possible d’être trop concentré sur l’amélioration du contenu ou de l’enseignement. L’attention devrait plutôt se porter sur les façons d’outiller les enseignants afin qu’ils apprennent à mieux connaître les élèves à qui s’adresse leur enseignement.
Depuis que j’ai terminé ma thèse, j’ai eu le privilège d’appliquer ces pratiques et ces principes dans le cadre d’une stratégie pédagogique pour un organisme provincial dont le mandat est de préserver et de présenter le passé. Dans ce rôle, je ne fais pas qu’offrir des programmes aux élèves du primaire et du secondaire, mais je donne aussi des ateliers aux enseignants et aux futurs enseignants sur la façon d’appliquer les principes liés à l’apprentissage étudiant par la recherche dans le cadre de cours d’histoire. J’utilise ce mode d’apprentissage dans chaque atelier et avec chaque élève, et je l’affine. Je me sens privilégiée d’avoir l’occasion de continuer ce travail et de m’assurer qu’il soit porteur de sens pour la pratique de l’enseignement.
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