S’amuser avec l’histoire (Mills Kelly)
Il y a quelques années, j’ai réalisé que les étudiants en histoire ne s’amusaient pas assez dans leurs études universitaires. Je ne veux pas dire qu’ils n’aiment pas étudier le passé. Au contraire, j’ai pu observer que les étudiants de mon département aiment les sujets à l’étude, que leur travail leur apporte un haut niveau de satisfaction et qu’ils sont heureux en histoire. Mais je ne les vois pas s’amuser beaucoup.
Je pense que c’est raisonnable de se demander si on peut avoir du plaisir pendant des études universitaires en histoire. Si le but de notre travail comme éducateur est de stimuler l’apprentissage, pourquoi les étudiants devraient-ils s’amuser en même temps qu’ils apprennent? Une réponse est que plus nous avons du plaisir à faire quelque chose, plus nous aurons tendance à y participer pleinement. Nous avons hâte de faire les activités distrayantes et nous redoutons les corvées. Plus les étudiants ont du plaisir dans un cours, plus ils s’intéressent au matériel à l’étude. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’un étudiant qui porte un vif intérêt à ses études fera de bons apprentissages. Je demanderais aussi, « pourquoi ne pas s’amuser ? ».
J’ai donc décidé de combler le « déficit d’amusement » dans mes cours. J’ai réécrit mes cours de méthodologie pour les rendre plus stimulants, plus centrés sur la recherche et plus « plein air ». Le cours Dead in Virginia inclut maintenant un volet où les étudiants doivent aller sur le terrain et consulter des archives pour faire de la recherche sur les familles dans nos cimetières locaux. Les résultats sont ensuite publiés en ligne au bénéfice d’autres historiens. Les étudiants me disent vraiment aimer se salir les mains (littéralement) pour tenter de résoudre les mystères découlant de ce qu’ils trouvent (et ne trouvent pas) au cours de leurs recherches.
J’ai aussi créé un nouveau cours intitulé Lying About the Past au cours duquel mes étudiants travaillent en équipe à la création de canulars historiques plausibles qu’ils mettent ensuite en ligne pour deux semaines (pas un jour de plus) afin de vérifier s’ils peuvent berner des internautes. Lorsque j’ai créé ce cours, je me suis dit qu’un canular historique était en soi un objet d’études amusant. En créant leur propre canular, les étudiants pourraient non seulement s’amuser, mais aussi utiliser leur énergie créative dans le cyberespace. Les étudiants étant à la fois des créateurs et des consommateurs de contenu dans notre monde numérique, ce dernier point a donc acquis une grande importance dans le cours.
Les deux cours sont très rigoureux. Les étudiants travaillent beaucoup plus qu’ils ne s’y attendent lorsqu’ils s’inscrivent. Chacun de ces cours met les étudiants au défi de trouver d’autres façons de penser au passé. Ils doivent le trouver, le regarder en face, le toucher, le falsifier et le communiquer à un large public.
Est-ce qu’ils s’amusent en accomplissant toutes ces choses? Ce que je constate en classe, et ce qu’ils me disent à la fin du semestre, est qu’ils s’amusent énormément. Est-ce qu’ils apprennent plus? Je pense que « plus » n’est pas la bonne mesure, car elle implique l’existence d’une norme universelle pour mesurer un niveau d’apprentissage historique plus ou moins élevé dans un cours donné. En tant qu’enseignant, une grande partie de ce que nous tentons d’accomplir dans notre travail est d’aider les étudiants à développer leur propre façon de connaître le passé. Au lieu de « plus », je dirais qu’ils apprennent à peu près les mêmes choses que nous enseignons depuis des années, mais de manière différente. À tout le moins en ce qui concerne le cours Lying About the Past, ils acquièrent aussi un certain scepticisme sur la fiabilité des sources en ligne, ce qu’ils n’auraient pas appris ailleurs.
Ce qui est certain est qu’ils arrivent tôt en classe, qu’ils restent après la fin du cours et qu’ils démontrent un plus haut niveau d’intérêt envers les aspects les plus importants des cours que ce que j’ai pu constater durant mes quelque vingt années d’enseignement. En plus, ils passent tout leur semestre à rire et à se bidonner.
Qu’y aurait-il de mal à ça?
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