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Soccer ou conscience historique?

Posted by Vincent Boutonnet
14 June 2012 - 1:06pm

Vous trouverez certainement ma question bizarre, mais elle n’est pas si anodine que cela. Nous sommes en pleine Coupe d’Europe où s’affrontent les meilleures équipes européennes du 8 juin au 1er juillet 2012 organisé par l’UEFA sur le sol polonais et ukrainien. Les paris sont engagés, les passions se dechaînent, les foules se déplacent, la tension est palpable et les couleurs nationales sont fièrement portées (du moins tant que l’équipe nationale gagne…). L’espace de quelques jours les sentiments nationalistes sont exacerbés et les rivalités sont parfois très tendues.

En cherchant une idée pour ce blog, je suis tombé sur cet article (http://www.leparisien.fr/euro-2012/euro-2012-pays-bas-allemagne-une-rivalite-chargee-d-histoire-13-06-2012-2046946.php) qui m’a réellement intéressé surtout pour son approche historique. Pour en faire un court résumé, l’auteur remarque que la rivalité entre Néerlandais et Allemands ne date pas d’hier (et on pourrait en trouver d’autres comme France-Italie ou Espagne-Portugal) et qu’elle serait autre que simplement sportive. L’auteur dresse ainsi le portrait de ces matchs tendus entre Pays-Bas et Allemagne, surtout depuis les années 1970, et nous fait remonter le temps au travers de ces différents chocs et buts litigieux. Là où l’analyse sportive de cet auteur devient réellement intéressante pour notre propos est lorsqu’il aborde la source de cette rivalité : les Pays-Bas ont été envahis pendant la seconde guerre mondiale par l’Allemagne et ont subi de lourdes pertes matérielles, mais surtout humaines (des grands-parents, des parents, des amis, etc.). La question qui m’est venue aussitôt était : parle-t-on vraiment encore de football?

Les sentiments nationalistes si facilement échauffés par ce genre de rencontre se teintent alors de réactions liées à la mémoire collective, à un passé encore lourd et présent dans les esprits européens marqués par des tragédies qui ont malheureusement si facilement jalonnées l’histoire de l’humanité. Il devient indéniable, par ces exemples, qu’il est difficile d’ignorer l’emprise du passé sur notre présent.

C’est pourquoi nous voulions aussi aborder la conscience historique qui est de reconnaître notre temporalité en tant qu’être humain et de considérer l’influence de notre passé sur notre présent et sur nos projets pour l’avenir. Or, cette conscience n’est pas entièrement réfléchie et objectivée, il ne faut pas être historien pour saisir le temps qui s’écoule. Chaque individu à sa propre temporalité, mais il n’en est pas pour autant toujours conscient ou n’en a pas toujours une appréhension élargie et critique, ce n’est parfois que mémoriel et sentimental.

Pourtant, il existe bien un écart entre histoire et mémoire, entre objectivité et subjectivité, entre raison et sentiment. Cette dualité est bien simpliste et réductrice nous l’avouons, mais nous permettra de mieux saisir la conscience historique et rejoint les conclusions de Duquette (2010). On peut simplifier la conscience historique en deux niveaux : un premier non critique et non réfléchi; un deuxième critique et réfléchi. Ces deux niveaux se distinguent dans l’usage des interprétations historiques ou autrement dit, dans la consommation du récit issu de la mémoire collective. D’un côté, nous avons un individu qui est conscient de sa temporalité, mais ne prend pas de recul critique quant au récit historique qu’il consomme. De l’autre, un individu aussi conscient de sa temporalité, mais prenant la distance critique nécessaire à ce récit et pouvant alors prétendre à un niveau critique et réfléchi (Duquette, 2010, p. 153-154).

Dès lors, il n’est pas surprenant de constater que de tels évènements sportifs puissent susciter des réactions parfois très vives. Même si un partisan n’est pas toujours conscient de son ancrage historique, il n’en reste pas moins qu’il est présent et qu’il nous appartient de savoir le sonder et surtout de savoir prendre le recul pour ne pas échouer sur l’écueil des réductions historiques simplistes, sentimentalistes afin de construire un monde mieux réfléchi et mieux conscientisé. L’enseignement de l’histoire en est responsable en partie, mais aussi la construction identitaire et sociale qui peut conduire à des travers fort douteux… Bon foot quand même!

Duquette, C. (2010). Les difficultés entourant l'apprentissage de la pensée historique chez les élèves du secondaire: la conscience historique comme piste de solution?  Dans J.-F. Cardin, M.-A. Éthier & A. Meunier (Dir.), Histoire, musées et éducation à la citoyenneté. Québec: Éditions Multimondes.