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Réhabiliter le PFÉQ

Posted by frédéric yelle
4 July 2013 - 6:23pm
  1. Le Programme de formation de l'école québécois, dans le domaine de l'univers social comme dans les autres disciplines, propose une approche que certains qualifient d'aberrante ou de hasardeuse. Pour ces enseignants et ces historiens, cette approche ne met pas suffisamment l'accent sur la connaissance, la mémorisation et la chronologie au détriment de compétences intellectuelles et critiques qui ne sont pas destinées à être enseignées au secondaire. Ces critiques stipulent que les élèves de niveau secondaire ne peuvent parvenir à « interpréter des témoins historiques » ou encore qu’il n’y a pas d’intérêt à s’acharner sur de telles opérations avant d’avoir appris les contenus qu’il faille apprendre. En d’autres mots, les obscures compétences que propose le PFÉQ n’ont pas leur place, c’est le récit historicopolitique et les faits qui l’accompagnent que doivent connaître les élèves du secondaire.

Puisqu'il importe de réhabiliter, dans une certaine mesure, le PFÉQ, revenons-en aux faits, trop souvent délaissés au profit des opinions de multiples chroniqueurs de quotidien. Des chercheurs (par exemple, VanSledright, 2012; Lee & Ashby, 2000) ont démontré que les élèves de niveau secondaire étaient capables (bien qu'inégalement) d'atteindre des niveaux de compréhension historique élevés à l'aide de sources premières (voir « Developing critical and historical thinking skills in middle grades social studies » de Scott M. Waring et Kirk S. Robinson pour un exemple fascinant d'éveil aux sources premières avec de jeunes apprenants) ou de dissertations et lectures critiques-analytiques (voir Monte Sano, 2011). Bien que certains élèves soient habitués au repérage (peut-être davantage une conséquence de l'absence de problématisation) et qu'ils préfèrent généralement l'utilisation du manuel comme unique « document historique », d'autres arrivent, lorsque guidés adéquatement, à interpréter différents discours issus de sources premières pour comprendre un même évènement selon différentes perspectives (voir cette vidéo, par exemple). Comprendre différentes perspectives d'un même discours ou d'un même évènement, n'est-ce pas une compétence qu'il faudrait nécessairement développer chez le citoyen de demain?

Par ailleurs, l'approche que propose le PFÉQ est issue de réflexions pédagogiques et philosophiques du siècle dernier (non, il ne s'agit pas d'une conspiration de didacticiens-fédéralistes déconnectés). Nous pourrions parler de Freire, de Rogers ou de plusieurs autres pédagogues marquants, mais ce serait trop long d’en faire la revue complète. Dewey, en 1916, prônait déjà une pédagogie de l'action qui devait donner les moyens d'agir aux futurs acteurs d'une société démocratique. Selon le même auteur, il existe plusieurs façons d'arriver à nos fins (en éducation comme ailleurs dans la vie), mais la fin ne justifie pas toujours les moyens. L'exemple que donne le philosophe de l'éducation va en ce sens : 

« On pourrait amener un enfant à saluer chaque fois qu'il rencontrerait une personne donnée en exerçant une pression sur les muscles de son cou. Il finirait ainsi par saluer machinalement. Ce ne serait pas cependant un acte de  reconnaissance, ni de déférence de sa part. Tant qu'il ne le ferait pas avec une certaine fin en vue, en lui donnant une signification précise ; tant qu'il ne connaîtrait pas la signification de son acte et ne l'accomplirait pas à cause de cette signification, on ne pourrait pas dire qu'il est "élevé" ou éduqué à agir d'une certaine façon ».[1]

Je trouve cet exemple frappant. Trop souvent, les pédagogies plus conservatrices issues du béhaviorisme ont cette tendance à créer cette « capacité à reproduire » comme je l'appellerais, plutôt qu'à travailler au développement d'outils de compréhension et de changement du monde social dans lequel on vit. C’est une question qu’on devrait se poser rétrospectivement aux activités que l’on propose à nos élèves. Que développe-t-on?

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, C. Wright Mills aborde dans « l'imagination sociologique » (1959), une compréhension du social et de sa complexité historique qui m'a beaucoup fait réfléchir et qui est particulièrement intéressante pour ce billet. Selon Mills, il faut que l'individu parvienne à comprendre le sens de l'action sociale, ainsi que la capacité de celle-ci à faire l'histoire, car bien que certains hommes puissent « faire l'histoire » plus facilement que d'autres, ce sont des hommes de leur temps qui sont souvent portés par des idées qui viennent de groupes d'intérêts (qu'ils soient citoyens ou ploutocrate) et qu'ils défendent en leur nom.

Le PFÉQ tente de sortir l'histoire nationale de son dualisme politique, mais ne le fait pas au nom d'une quelconque allégeance politique. Il le fait parce qu'il désire former des citoyens conscients de leur pouvoir d'action en tant qu'acteurs sociaux dans une société démocratique. L'époque des « dépôts » de connaissances dans des « récipients-éponges » que seraient les élèves doit être révolue. Pas seulement parce que la connaissance factuelle est plus accessible que jamais, mais aussi parce qu'une société démocratique et progressiste doit se donner les moyens d'éviter la stagnation et que ces moyens doivent inévitablement passer (si l'on veut demeurer démocratique) par le biais d'une classe citoyenne capable de comprendre l'information (scientifique et médiatique) avec laquelle elle est en contact. Comment cette approche se traduit-elle dans une classe d'histoire ou, encore mieux, dans l'étude de l'histoire au sens global ? C'est sans doute en permettant aux élèves de s'affranchir des vulgarisations et des synthèses (bien qu'ayant leur utilité) en leur donnant les moyens de comprendre l'histoire dans toute sa profondeur. Ils pourront ainsi déconstruire plus facilement les mythes qui y sont créés pour en comprendre les forces sous-jacentes et être libérés du joug de la subjectivité en toute chose.


[1] Dewey, J. (2011). Démocratie et Éducation suivi de Expérience et éducation (Chapitre 3, p.110). Les édition Armand Colin.

 

Quelques exemples de sources évoquées intéressantes :

Lee, P. & Ashby, R. (2000). Progression in Historical Understanding among Students Ages 7-14. Knowing, Teaching & Learning history: national and international perspectives (chap.11, 199-222). New York: NYU Press.

Monte-Sano, C. (2011).  Beyond reading comprehension and summary: learning to read and write in history by focusing on evidence, perspective and interpretation

VanSledright, B. & Kelly, C. (1998). Reading American History : The Influence of Multiple Sources on Six Fifth Graders. The Elementary School Journal, 98(3), 239-265. Repéré à http://www.jstor.org/stable/1002259

VanSledright, B. (2012). Learning with Texts in History: Protocols for Reading and Practical Strategies. T. L. Jetton & C. Shanahan (dir.), Adolescent Literacy in the Academic Disciplines (p.199-226), New York: Guilford Press.