Quand l'empathie historique n'y est pas!
9 October 2012 - 12:58pm
Quand l’empathie historique n’y est pas! Il y a quelques années, j’étais la stagiaire d’un enseignant doué. Un de ceux qui nous marquent lorsqu’on est jeune. Celui qu’on veut revoir lorsqu’on revient à l’école une fois adulte. Celui qui inspire le dépassement, la motivation, qui n’exige que le meilleur de nous-mêmes. Celui qu’une future enseignante rêve d’être. Et cet enseignant étoile d’histoire et de géographie avait développé au fil des ans un projet colossal avec ses élèves de deuxième secondaire. Il avait bâtit, avec un de ces collègues, un procès au cours duquel s’affrontaient les empires coloniaux et les autochtones décimés par la « marche de l’homme blanc ». En équipe de quatre, les élèves devaient se transposer dans une des salles du Tribunal Pénal International de La Haye et défendre les empires ou, mieux, les accuser. Les élèves acceptaient cette entorse au temps historique, puisque le procès se situait aujourd’hui, avec les lois actuelles, mais concernait des faits qui avaient eu lieu il y a plus de 350 ans. Beau projet sur papier et beau projet en classe. J’observais les élèves travailler, rechercher les failles de la définition d’un génocide selon l’ONU pour les uns, cherchant les pires sévisses qu’avaient dû subir les autochtones pour les autres, question d’émouvoir le jury. Les élèves s’investissaient réellement dans ce projet. Et n’est-ce pas ce que l’on souhaite, lorsqu’on est enseignant?
Mais il y avait là quelque chose qui coinçait. Je ne savais ni pourquoi, ni comment, mais ce que je voyais avec mes yeux de stagiaire ne me séduisait pas. Et puis, tout m’est apparu clair à la lecture de Barton et Levstik (2004). Ce projet, permettait certainement aux élèves de développer leur capacité à argumenter, mais ne les aidait en rien à construire leur pensée historique. Au final, les élèves trouvaient les Français, les Portugais, les Espagnols, les Britanniques et les Russes xénophobes, idiots, « retardés », « arriérés » et les autochtones de pauvres victimes innocentes. Pas d’esprit critique, pas d’empathie historique. Rien qui ne permette de faire comprendre aux élèves qu’entre les causes et les conséquences, il y a le pourquoi. Les élèves n’avaient donc pas donné de sens aux actions, ils n’avaient pas combiné la pensée historique à des preuves et à une compréhension inférentielle et appropriée des grandes conquêtes pour combler l’espace entre ce qui est connu et ce qui est déduit de ces histoires (Yeager et Foster, 2001). Le résultat était un jugement où se mêlait présentivisme et émotions : les élèves qui représentaient les tortionnaires se sentaient mal de s’identifier à ces gens qu’ils considéraient être des barbares et les représentants des victimes sympathisaient avec ces dernières par leurs émotions. Un beau projet donc, un projet engageant, mais qui allait à contre sens du développement de la pensée historique.
Voilà comment l’idée de travailler sur l’empathie historique et de son importance comme élément essentiel de la méthode historique m’est apparue. L’enfer est pavé de bonnes intentions à ce qu’il parait. Peut-être aussi de très bons enseignants d’histoire et de géographie!
Chantal Rivard
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