Patrimoine architectural : Préserver quoi et pourquoi?
11 Avril 2013 - 12:56pm
Partie I : William Morris et les origines de la conservation du patrimoine architectural
Partie II : Le patrimoine industriel et populaire
Partie III: L’exemple de Griffintown
« Au préalable, je vous demanderais d’étendre l’acception du mot « art » au-delà des productions artistiques explicites, de façon à embrasser non seulement la peinture, la sculpture et l’architecture, mais aussi les formes et les couleurs de tous les biens domestiques, voire la disposition des champs pour le labour ou la pâture, l’entretien des villes et de tous nos chemins, voies et routes ; bref, d’étendre le sens du mot « art », jusqu’à englober la configuration de tous les aspects extérieurs de notre vie. »
- Williams Morris, L'art en ploutocratie, Conférence prononcée à l’Université d’Oxford le 14 novembre 1883.
« Je les conjure de ne pas considérer comme une chose d'importance légère, mais comme un mal des plus graves, le fait que leur travail est dénué d'attrait et leurs foyers dénués de beauté. Et je les assure que ce mal n'est pas un accident, n'est pas un résultat de l'insouciance et des tracas de la vie moderne, qu'un homme de la bourgeoisie un peu bien pensant pourrait corriger. Ce n'est pas un mal accidentel, guérissable par des remèdes palliatifs et temporaires ; c'est la résultante de la sujétion du pauvre au riche, et en même temps, c'est le symbole le plus évident de cette sujétion. »
- Williams Morris, La vie ou la mort de l'art, Justice, 15 mars 1884.
Les ménages québécois sont plus endettés que jamais, une étude récente qualifie le marché immobilier montréalais de « sévèrement inabordable ». Les jeunes familles désertent l’île pour s'acheter une première propriété moins dispendieuse en banlieue. La construction de logements est « pratiquement au point mort depuis des années ». En 2012, 11 169 unités de condos ont été construites comparativement à seulement 3700 unités de logements. Au début de l’année 2012, la construction de condos a explosé de 84%. Cette « folie » jumelée au contexte économique difficile entraîne très rapidement un essoufflement. Les ventes baissent de 20% durant le quatrième trimestre de 2012.
La compétition entre les différents promoteurs immobiliers est donc féroce. Quelle est la solution des promoteurs, baisser les prix ? Non, ils misent sur le marketing et organisent des soirées festives promotionnelles ridicules avec danseurs, DJ et alcool gratuit. Le coût de ces soirées peut s'élever jusqu’à 75 000 mille dollars. Ben Rabidoux, analyste chez M. Hanson Advisors qualifie ces événements « d'exubérance irrationnelle » et mentionne également que « ce genre de frivolités illustre, selon moi, comment nous avons collectivement perdu notre sens commun. »
Quel est le rapport avec la protection du patrimoine industriel et populaire ?
Les premières victimes de cette situation sont les quartiers populaires. Le Plateau Mont-Royal est l’exemple le plus éloquent, tout ce que dépeignait Michel Tremblay dans ses Chroniques du Plateau Mont-Royal est mort. La tendance est générale et les classes populaires, sont, petit à petit, éjectées de la ville. Ce qui s’est passé sur le plateau est présentement en train de se produire dans le Mille End. Cet assaut est également de plus en plus palpable dans Hochelaga-Maisonneuve et dans le Sud-ouest. Tout cela ne se fait pas sans tension. En février 2012, un café trendy de St-Henri a d’ailleurs été la cible de vandales. Ces derniers avaient inscrit « yuppies scum » sur la devanture du commerce.
La prochaine cible ? Griffintown. Ce quartier a fait couler beaucoup d’encre depuis la dernière année. Quartier ouvrier irlandais aux abords du canal Lachine dans le Sud-ouest de l’île de Montréal, berceau de la Révolution industrielle au Canada. Le quartier meurt à petit feu à partir de la vague de désindustrialisation des années 70-80. Le quartier devient une sorte de No Man's Land durant plus de vingt ans. Ce n’est que tout récemment que les promoteurs immobiliers décèlent le potentiel du coin.
En février 2012, un des éditorialiste de La Presse sonnait l’alarme :
« Le problème est là: la Ville, censée jouer un rôle de planificateur, se contente d'un vulgaire mandat d'accompagnateur. Elle laisse ainsi le privé prendre le leadership comme elle l'a fait il y a trois ans avec Devimco, à la différence, cette fois, que les promoteurs sont plus nombreux. Et plus pressés.
On se précipite ainsi et on travaille à la marge, alors qu'il est question d'une occasion unique: la revitalisation complète d'un quartier historique... qu'on laisse tranquillement s'effacer. Et avec lui, l'histoire de Montréal. »
La situation dans Griffintown est préoccupante et son avenir risque, au mieux, de connaître le même sort que celui des Shop Angus dans l’est de Montréal. Où une partie du site a été préservé, mais la vaste majorité du terrain fut utilisé pour la construction de logements de luxe. Au pire, connaître le même sort que l’hippodrome de Montréal, c’est-à-dire, être simplement rayé de la carte aux profits d’un quelconque promoteur immobilier.
Pour des lieux de mémoire vivant !
Pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups, préserver le patrimoine populaire et industriel de Griffintown et répondre au manque criant de logements abordables ? Pourquoi les classes populaires devraient se contenter de maisons en carton éloignées de leurs lieux de travail pendant que les jeunes professionnels dynamiques auront le luxe de pavoiser dans les nouveaux quartiers « revitalisés » ? La meilleure façon de préserver les quartiers populaires n’est-il pas qu’ils restent populaires ? Permettant ainsi de créer des lieux de mémoires vivants plutôt qu’une coquille vide, jolie certes, mais vidée de sa substance. Comme c’est le cas de trop nombreux quartiers historiques des grandes villes un peu partout dans le monde.
La question se pose et la menace de la destruction est assez importante pour que l’Office de consultation publique de Montréal organise une commission d’enquête sur le développement de Griffintown. Deux préoccupations animent les commissaires au départ ; la préservation du patrimoine et la création dans Griffintown d’un quartier vivant, alliant commerces, logements et transport en commun. Le but est d’éviter de répéter l’expérience de la Petite Bourgogne, cité-dortoir située à la frontière ouest de Griffintown. À la fin du mois de mars 2013, la commission remet son rapport. Elle y souligne la principale menace sur la préservation du quartier :
« Cette pratique, bien qu’elle vise à générer des bénéfices à la communauté, comporte des effets pervers et risque de faire grossir et monter les bâtiments jusqu'aux limites de hauteur permises au plan d’urbanisme, moins conformes aux objectifs du PPU. Or, il faut au contraire faire diminuer la pression du marché sur plusieurs îlots si l'on veut favoriser la venue des logements sociaux et des équipements communautaires, tout comme le maintien des zones d'emploi et des lieux de création. »
Selon la commission, le seul moyen d’éviter l’irréparable, c’est de « faire pression sur les marchés ». Elle n’explique malheureusement pas comment. Si nous voulons préserver le caractère unique de ce quartier, et comme le recommande le rapport de l’OCPM, affirmer « une volonté claire de marquer la fin du développement anarchique de Griffintown ». Il est impératif, à l’instar de William Morris, de prendre conscience que, pour préserver quoi que ce soit, l’action politique est inévitable.
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