Skip to Content

Orienter l'enseignement de l'histoire vers "nos" particularités

Posted by Raphaël Gani
28 June 2015 - 3:24pm

Lettre d'opinion parue dans La Presse+ le 26 juin 2015.

Chose rare, un député libéral et non le moindre s’est avancé sur le terrain glissant de l’enseignement de l’histoire. Notre premier ministre souhaite valoriser l’histoire du Canada. Celle-ci possède de « si beaux » moments « qu’il faudrait mieux les enseigner à nos enfants. », disait-il, le 13 juin. Toutefois, son souhait est incohérent avec la décision de l’ex-ministre Yves Bolduc d’approuver un nouveau cours d’histoire axé sur les particularités du Québec.

À la prochaine rentrée scolaire, des élèves de secondaire trois prendront part à un nouveau cours d’histoire du Québec et du Canada. Ce cours a été commandé par le gouvernement péquiste en 2013, puis l’actuel gouvernement libéral l’a approuvé tel quel en 2014.

Les élèves devront surtout y apprendre à identifier les « particularités du parcours de la société québécoise », selon une version provisoire du cours.

Pour sa part, Philippe Couillard souhaiterait un meilleur enseignement de l’histoire canadienne pour « construire sur notre héritage commun ».

Le nouveau cours d’histoire s’inspire des recommandations d’un comité nommé par le Parti québécois et dirigé par le sociologue Jacques Beauchemin. Selon ce comité, le sens de l’histoire à enseigner aux élèves « se trouve dans la trame nationale, qui organise et singularise l’histoire du Québec, depuis les premiers balbutiements d’une communauté découvrant sa singularité jusqu’aux méandres de la "question nationale" telle qu’elle circonscrit aujourd’hui nos conflits et nos rassemblements. » Les rédacteurs du nouveau cours ont repris à leur compte ce fil conducteur en empruntant plusieurs concepts au rapport Beauchemin.

Voici le fondement du nouveau cours d’histoire que les élèves doivent réussir afin d’obtenir leur diplôme d’études secondaires : « Le programme d’histoire du Québec et du Canada porte sur la caractérisation et l’interprétation des particularités du parcours de la société québécoise, des premiers contacts à nos jours. » Bien que l’intitulé du cours contienne le mot Canada, c’est surtout l’ « histoire nationale » québécoise qu’il s’agit d’enseigner aux élèves : « elle appelle et légitime l’étude d’une société démocratique enracinée dans ses particularités ».

Selon le plan provisoire du cours, les professeurs devront enseigner « les jalons de l’expérience singulière du Québec ». Pour ce faire, ils planifieront des séquences d’enseignement dont l’objectif est d’aider les élèves à « mieux comprendre les particularités de leur propre société, d’autres sociétés et de diverses réalités sociales, passées ou contemporaines. » Autrement dit, les élèves construiront leur identité québécoise en apprenant ce qui distingue la société québécoise de la société canadienne. On est loin de l’apprentissage d’une histoire canadienne pour « construire sur notre héritage commun ».

Au Québec, le programme d’histoire peut changer au gré des élections et donc, il se retrouve forcément politisé. Les politiciens ont le pouvoir d’orienter l’enseignement de l’histoire par l’entremise des experts qu’ils choisissent pour réviser les curriculums. Le problème le plus important n’est pas de faire un choix entre tel ou tel expert, ou entre une histoire orientée vers le Québec ou le Canada : un choix forcément idéologique. Le problème se trouve ailleurs. L’enseignement de l'histoire ne devrait plus être un enjeu électoral. Pour plaire à leur base partisane, les politiciens québécois proposent une histoire empreinte de particularisme (Parti québécois) ou de fédéralisme (Parti libéral). Bref, l’histoire devient au service du politique et non au service d’une compréhension de la complexité du passé.

Que faire pour sortir l’enseignement de l’histoire des élections? On pourrait se livrer à un intervalle fixe, disons aux 7 ans, à des révisions systématiques du curriculum d’histoire, en y convoquant des universitaires, des fonctionnaires, des professeurs, des parents, des élèves, mais pas de politiciens. Ainsi, peu importe le gouvernement en place, les réformes se feraient sous la base de l’expertise des personnes convoquées tout en s’éloignant le plus possible de la partisanerie des politiciens. Cela est lourd de conséquences, certes... mais y a-t-il d'autres options pour s'assurer que l'histoire enseignée à des centaines de milliers de jeunes Québécois ne soit ni centrée sur les « particularités » du Québec ni centrée sur les « si beaux » moments de l’histoire canadienne?