La Maison Paul-Émile Borduas : deux projets de mise en valeur
2 February 2016 - 5:11pm
La Maison Paul-Émile Borduas : « Projet de mise en valeur de l’esprit de Borduas »
par Nancy Lemieux et Geneviève Roy
La Maison Paul-Émile Borduas est un centre d’interprétation qui voit à la préservation du lieu de vie de l’artiste, mais aussi à la diffusion de l’héritage du mouvement des Automatistes, actif entre 1945 et 1954, et du manifeste du Refus global, publié le 9 août 1948. Résidence caractérisée par le mouvement moderniste, elle se situe à Mont-Saint-Hilaire (Montérégie), sur un terrain adjacent à la rivière Richelieu. Il s’agit de la seule œuvre architecturale construite selon les plans dessinés par l’artiste Paul-Émile-Borduas (1905-1960) et l’architecte Marcel Parizeau (1898-1945). Ce premier y habite d’ailleurs de 1945 à 1952, année où il la vend au couple Fernande et Alphonse Campeau, qui considère déjà l’endroit comme lié à la mémoire de l’artiste. Mais, malgré une volonté de respecter l’esprit des lieux, des mises aux normes physiques du bâtiment sont effectuées avec le temps afin d’assurer sa préservation. Le 7 décembre 1999, la maison est achetée par la Fondation Paul-Émile Borduas, moment où il est entendu de « muséaliser » en quelque sorte ce témoin de l’essor de la modernité architecturale et artistique au Québec, et de la pensée de l’artiste, tout en respectant des valeurs et des choix visant à maintenir sa sauvegarde.
Désirant valoriser l’esprit de Borduas, à même ce « lieu de mémoire », notre projet comprend deux parties : le développement et l’organisation des espaces du sous-sol et de l’espace extérieur. Nous proposons ainsi aux visiteurs de la maison une expérience particulière de rencontre, d’échange et d’apprentissage, afin d’ancrer ce monument dans sa communauté et d’en favoriser aussi l’intérêt touristique.
La mémoire de Borduas se perpétuant dans le temps, il est important de préserver le lieu résiduel, résidu d’événements passés. Pour ce faire, il nous importe de définir le concept de l’esprit du lieu. Bien que plusieurs définitions soient envisageables, nous privilégions l’approche développée par les experts Michèle Prats et Jean-Pierre Thibault, « s’il faut [le lieu résiduel] le définir, ce qui n’est pas facile, on peut le présenter comme la synthèse des différents éléments, matériels et immatériels, qui contribuent à l’identité d’un site... En ce sens, il est unique ». La notion évoquant une relation et un processus humain, vivant et dynamique, qui favorise les rencontres, d’emblée, les patrimoines matériel, immatériel et naturel du site participent à cet esprit. Les lieux produisent à leur tour de nouveaux esprits et de nouvelles configurations sociales. Ce que nos idées tentent de favoriser.
La première partie de notre projet consiste donc à installer au sous-sol, où était situé autrefois le lieu de travail de l’artiste aujourd’hui détruit, des ateliers créatifs et un petit café, où se trouveraient également la zone de consultation et la boutique, actuellement au rez-de-chaussée. Cette proposition s’inspire de notre étude de plusieurs institutions, tel que le Musée de la vie romantique à Paris qui donne à voir non seulement la vie artistique et quotidienne du peintre hollandais, Ary Scheffer (1795-1858) qui a habité l’endroit, mais présente également l’esprit du romantisme à travers les œuvres d’autres artistes contemporains à ce dernier. De cette façon, il est possible de faire un meilleur lien de signification entre l’artiste et les visiteurs de la maison à travers un élément architectural ou décoratif tel que la maison, son atelier et les objets qui les meublent. Ainsi, la visite de l’espace de vie et de création de l’artiste, qui inexorablement l’a influencé symboliquement, constitue une voie différente pour découvrir son travail et le comprendre, par exemple, dans son contexte de production.
Nous désirons ainsi recréer une ambiance correspondant davantage à l’époque où Borduas habitait Mont-Saint-Hilaire et où plusieurs artistes s’y rassemblaient, Fernand Leduc (1916-2014), Françoise Sullivan (1925-), Pierre Gauvreau (1922-2011), Jean-Paul Riopelle (1923-2002) et Marcelle Ferron (1924-2001), pour discuter, échanger et transposer ensuite leurs idées novatrices dans le Refus global. Les activités que nous proposons cherchent donc à perpétuer cet état d’esprit, celui du dialogue, des découvertes. Pour y parvenir, il devient alors pertinent de réintroduire l’état de bouillonnement d’idées en créant, où se situait l’atelier de Borduas, le point de rencontre des Automatistes, un lieu d’échange, de discussion et de création. C’est dans cette vision du présent, si déterminant pour Borduas, que nous souhaitons inscrire sa maison, la rendre à nouveau vivante et actuelle.
Croyant aussi que l’esprit de l’artiste peut se perpétuer au-delà de l’architecture, c’est pour ces raisons que nous tissons un lien indissociable entre le sous-sol et l’extérieur dans le développement de nos idées. Nous repensons donc le jardin pour créer une ambiance particulière qui rappelle la mémoire de l’artiste, encore présente mais non explicitée. En effet, dans le cadre de notre projet, nous souhaitons établir de manière durable et mettre de l’avant le patrimoine naturel de la maison dans l’esprit de Borduas en valorisant son environnement extérieur.
Pour la seconde partie de notre projet, nous désirons donc revaloriser l’espace extérieur dans l’objectif de favoriser le travail, la lecture et le repos. Le jardin d’accompagnement qui environne la Maison Borduas rappelant aussi ceux conçus fréquemment autour des musées d’artiste, l’organisation de l’espace que nous préconisons vise à créer un esprit et une ambiance, préférablement celle d’origine. Dans le but d’atteindre cet objectif, nous avons observé le modèle du jardin de sculptures du Musée Rodin de Paris. Il s’agit d’un excellent exemple où l’espace a été modulé et pensé par ses concepteurs pour créer une ambiance particulière qui rappelle la mémoire de l’artiste.
Cette proposition est d’autant plus intéressante et justifiée par la présence d’une végétation minutieusement sélectionnée par Borduas à Mont-Saint-Hilaire pour participer à l’esthétique de l’espace qui entoure sa résidence, en plus de créer des espaces verts. Nous proposons ainsi d’installer stratégiquement sur le terrain des cartels explicatifs afin de valoriser ce patrimoine naturel, qu’expose par exemple, le livre de Pierre Lambert, historien régional, intitulé, Borduas, le rebelle de Saint-Hilaire. Dans son ouvrage, l’auteur cite notamment le docteur Alphonse Campeau qui remémore que, « quand il [Borduas] plantait des arbres, il en plantait trois, peupliers, conifères ou bouleaux, en pensant à ses trois enfants : Janine, Paul et Renée. Il m’a répété souvent que si c’était possible, c’est au pied des trois bouleaux plantés à l’est du terrain qu’il aimerait reposer un jour ». Il serait alors intéressant de placer un cartel à l’avant de ces trois bouleaux, afin de signifier aux visiteurs leurs importances pour le peintre.
Enfin, les aménagements intérieurs et extérieurs que nous voulons créer sont avantageux pour le Musée Paul-Émile Borduas, puisqu’ils semblent favoriser un renouvellement de l’intérêt des résidents locaux, mais aussi attirer de nouveaux visiteurs. Il reste à voir comment les différents projets de conservation du patrimoine moderne attribués à la Maison Borduas pourraient être renouvelés et repensés dans les années à venir.
RÉFÉRENCES
PRATS Michèle, Jean-Pierre THIBAULT, « Qu’est-ce que l’esprit des lieux », in 14 th ICOMOS General Assembly and International Symposium : Place, memory, meaning : preserving intangible values in monuments and sites, Victoria Falls, Zimbabwe, 27 au 31 octobre 2003.
LAMBERT, Pierre, Borduas, le rebelle de Saint-Hilaire, Salaberry-de-Valleyfield : Marcel Broquet nouvelle édition, Coll. « Profils », 2015.
Un audioguide pour la maison Paul-Émile Borduas: l'avènement de la modernité québécoise par le biais de l'architecture et du lieu
par Samantha Gauvin et Myriam Mathieu-Bédard
La Maison Paul-Émile-Borduas consiste d’abord en la résidence personnelle que le peintre, sculpteur, professeur et auteur du Refus global, Paul-Émile Borduas (1905-1960) a conçue, dessinée et construite pour sa famille entre 1940 et 1942, dans son village natal de Saint-Hilaire aux abords de la rivière Richelieu. Habitée de façon permanente par l’artiste et sa famille entre 1945 et 1952, la Maison comprenait au sous-sol l’atelier de Borduas. Par la suite, le couple formé d’Alphonse et de Fernande Campeau achète la résidence en 1952 et la conserve comme un monument à la mémoire du peintre québécois. Rachetée en 1999 par la Fondation de la Maison Paul-Émile-Borduas, la demeure est classée bien culturel en 2000 par le Ministère de la Culture et des Communications du Québec et fait aujourd’hui l’objet d’une mise en valeur : ouverte au public, elle sert de centre d’interprétation du manifeste du Refus global ainsi que du mouvement automatiste et elle accueille également des expositions temporaires d’artistes de la région de Mont-Saint-Hilaire au sous-sol.
L’importance de la valorisation du lieu repose sur sa valeur patrimoniale multiple, à la fois historique, culturelle et architecturale. D’abord, par son association à une figure publique notoire de l’histoire du Québec et de sa scène artistique, la Maison possède une valeur patrimoniale historique. De plus, par son intégration dans le paysage et son architecture inspirée des tendances modernes des années 1920 et d’architectes marquants du début du XXe siècle, la Maison fait également partie du patrimoine architectural québécois et canadien. L’un des objectifs énoncés par l’institution est de perpétuer la pensée et l’œuvre de Borduas à travers une expérience architecturale et artistique des lieux. Afin de contribuer à remplir ce mandat, nous avons élaboré un projet d’audioguide jumelé à la présentation de photographies historiques pour approfondir la mise en valeur de la Maison, en tant que lieu d’interprétation rattaché à un site patrimonial lui-même lié à la naissance de la modernité au Québec, à la fois en tant que création architecturale et qu’endroit symbolique et historique (lieu de création pour Borduas et le Refus global).
Par ce projet, nous souhaitions donc améliorer la visite pour le visiteur en l’immergeant dans une expérience architecturale et spatiale de ce lieu historique et patrimonial, seule œuvre de ce type de Borduas. La Maison, comme marqueur culturel tangible et ayant renouvelé en partie son offre de médiation, sera ainsi plus attrayante et pourra rayonner de manière plus significative dans la région et dans la province, contribuant possiblement au développement du tourisme régional et à la promotion de la région de la Montérégie. Nous avons donc voulu mettre en valeur le patrimoine immobilier bâti sous ses angles symboliques et architecturaux, tant intérieurs qu’extérieurs.
Concrètement, notre projet de visite guidée s’articule autour de capsules audio disponibles soit pour être téléchargées sur son cellulaire à partir du site Internet de la Maison ou encore pour être écoutées sur des lecteurs mp3 mis à disposition des visiteurs, et d’un arrangement de photographies historiques sur les lieux afin de faire des liens entre l’état actuel de la Maison et la construction initiale. L’audioguide offre donc des capsules indépendantes présentant de l’information relative à différents thèmes liés principalement à l’architecture, aux rénovations et modifications qu’a connues la Maison ainsi qu’à l’importance du lieu dans l’émergence de la modernité au Québec. Ce dispositif de médiation se présente comme un complément aux visites commentées déjà offertes, en mettant l’accent sur l’architecture et le lieu. En renouvelant l’offre de médiation du lieu d’interprétation, l’audioguide a le potentiel d’attirer de nouveaux visiteurs ou d’inciter le retour de visiteurs passés. De plus, le projet s’intègre de manière complémentaire à l’offre du réseau touristique de Mont-Saint-Hilaire, participant ainsi au développement régional. Tout comme les photographies historiques qui l’accompagnent, l’audioguide représente un dispositif à faible coût qui rend accessible une information supplémentaire aisément modifiable en fonction des besoins. Soulignons également que, par sa simplicité de création et d’usage, l’audioguide est particulièrement attractif pour une institution disposant de peu de moyens financiers et d’un personnel limité.
En plus de ces avantages pour l’institution et la région, l’usage d’un audioguide engendre plusieurs bénéfices pour les visiteurs. Cet outil de médiation permet en effet une liberté au public (tout en lui fournissant une certaine structure de visite). Il procure aussi des paratextes qui aident à la création de sens chez le visiteur tout en n’accaparant pas son attention visuelle, qu’il peut alors porter sur la Maison et ses caractéristiques. Finalement, notons que l’audioguide permet à la fois la participation du visiteur et son apprentissage, étant ainsi un outil interactif et didactique pour l’institution muséale.
Le projet d’audioguide pour la Maison Paul-Émile-Borduas représente à notre avis un progrès marqué dans la diffusion et le rayonnement d’un lieu patrimonial important et peu connu, tout en représentant un modèle au potentiel intéressant pour d’autres types d’institutions à vocation similaire. Il permet aussi de former une assise pour d’éventuels développements de l’institution hilairemontaise dédiée à Paul-Émile Borduas.
Troisième billet de la série intitulée "MSL 6512 / Retour sur les initiatives étudiantes pour une mise en valeur du patrimoine régional québécois", éditée par Philippe Denis.
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