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L’enseignement de l’histoire par le sondage

Posted by Raphaël Gani
9 June 2014 - 2:58pm

Pour évaluer le savoir historique chez les jeunes et les moins jeunes, deux principaux types de sondages sont employés. Le premier type de sondage évalue les connaissances historiques par des questions comme « Qui a été le tout premier premier ministre de l'histoire du Québec ? » Ce type de sondage fait régulièrement la manchette et aboutit systématiquement à des constats d’amnésie collective, c’est-à-dire qu’on découvre que les gens ne connaissent à peu près pas les personnages et les évènements marquants de leur histoire nationale. Autrement dit, 94% des Québécois interrogés en 2011 ne connaissaient pas le nom de leur premier premier ministre.

Les chercheurs qui ont élaboré le deuxième type de sondages ont vivement critiqué les constats d'amnésie collective. Ces chercheurs ont voulu comprendre non pas ce que les gens ignorent, mais plutôt ce qu'ils savent de l'histoire de leur société, en interrogeant surtout des jeunes à partir de questions comme « Raconte-moi l’histoire du Québec. » De ce type de sondage découle le constat suivant : les gens savent sans connaître. Autrement dit, en racontant l’histoire, les gens exposent leur vision d’ensemble du passé, mais avec plusieurs erreurs factuelles. Ces sondages sont peu médiatisés puisqu’ils sont produits dans la sphère universitaire, quoiqu’ils soient parfois repris par des journalistes pour contester l’idée d’une amnésie collective.

Dans la littérature scientifique, ces deux types de sondage sont souvent présentés comme des antagonistes, sans réel effort pour leur trouver une utilité en classe d’histoire. Dès lors, que faire avec ces sondages qui sont à la fois onéreux à produire et riches d’enseignements ? Ont-ils pour unique fonction de remplir les pages de revues scientifiques ou de journaux ? Pour utiliser ces sondages en classe d'histoire, on pourrait les aborder comme des outils permettant d’évaluer les connaissances préalables des élèves. De plus en plus de programmes d’histoire requièrent de s’intéresser aux connaissances préalables des élèves – les préconceptions par lesquelles ils appréhendent un sujet. Peu d'outils d'évaluation sont conçus pour cerner les connaissances préalables en histoire : les deux types de sondages présentés ci-haut s'y prêtent bien. 

 

Il est relativement facile de mener un sondage en classe : distribuer une feuille blanche au début de l’année avec comme en-tête : « Raconte-moi l’histoire du Québec » ou « Qui sont les différents acteurs de la bataille des Plaines d’Abraham ? » À partir des résultats obtenus, le professeur – en connaissance de cause – peut confronter ou conforter le savoir préexistant de ses élèves . Par exemple, il est fort possible que la majorité des élèves mentionnent la bataille des Plaines dans leur récit d’histoire et l’aborde par l'entremise des « méchants Anglos » et des « bons Francos ». Ces représentations peuvent être ensuite confrontées et nuancées par l'apport d’autres sources historiques (Éthier, Cardin, Lefrançois, 2014, p. 95-96), notamment des extraits issus des ouvrages de la série Vivre la Conquête.

 

En reflétant aux élèves ce qu’ils savent du passé, le professeur ouvre la voie à des questionnements non seulement sur l'histoire, mais aussi sur sa production et sa réception : pourquoi la majorité de la classe se rappelle-t-elle de la Conquête ?; d’où vient cette conception de la Conquête comme d’une bataille entre méchants Anglais et bons Français ? Dans cet exercice, l’élève ne fait plus qu’analyser les dires d’historiens ou de personnages historiques de manière distante et impersonnelle. L’élève développe son propre récit d’histoire en le confrontant avec celui de ses pairs, mais aussi avec ceux qui circulent dans la société. À l'heure où différents récits compétitionnent dans l'espace public pour obtenir l'adhésion des jeunes, il apparaît primordial pour ces derniers de réfléchir à leur propre récit d'histoire : un objectif largement absent des programmes d'histoire. Pour ce faire, l’usage de sondage en classe est une méthode prometteuse, mais présentement négligée. Il ne s’agit pas d’une panacée, mais d’une porte d’entrée vers le savoir historique.

Les professeurs qui souhaitent participer à la création d'activités pédagogiques à partir d'un sondage sont invités à communiquer avec nous : rgani011@uottawa.ca.