L’enseignement de l’histoire et les identités nationales (Mario Carretero)
Je pense que l’expérience qui a le plus influencé mes recherches est la façon dont on m’a enseigné l’histoire à mon adolescence. Je suis né au Maroc et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 17 ans. Lorsque je suis arrivé en Espagne, j’y ai constaté la très grande influence de 800 ans de présence musulmane sur la péninsule ibérique, influence dont on donnait une version déformée et négative dans les écoles espagnoles. Cela m’a surpris et m’a amené à me passionner pour l’enseignement de l’histoire.
J’ai récemment prononcé une conférence à la Stanford University où j’ai présenté mes idées sur la relation entre l’enseignement de l’histoire et les identités nationales. Je mène en ce moment une étude comparative sur l’enseignement de l’histoire dans trois pays d’Amérique latine (l’Argentine, le Brésil et le Mexique) et en Espagne et sur la relation de cet enseignement à la construction des identités nationales dans ces sociétés. Comparer l’enseignement de l’histoire en Espagne et en Amérique latine révèle un éventail fascinant d’expériences.
J’ai vécu une autre expérience pédagogique qui m’a beaucoup influencé lorsque j’ai assisté pour la première fois aux rituels patriotiques argentins et mexicains qui foisonnent de contenu historique et qui influencent autant les enseignants que les élèves de 6 à 18 ans. En fait, ce type de rituel ne diffère pas beaucoup des activités offertes dans plusieurs écoles et sites historiques ailleurs dans le monde, même si celles de l’Amérique latine sont généralement plus traditionnelles. Ce type d’activités, qui relève autant de la pédagogie que de l’histoire, n’existe pas en Espagne où elles seraient vues comme des pratiques pédagogiques proches de l’autoritarisme et presque du fascisme. J’ai développé mes idées sur ce sujet dans le livre Constructing Patriotism: Teaching History and Memories in Global Worlds (Information Age Publishing, 2011), dans lequel je présente ma recherche sur la relation entre le patriotisme et l’enseignement de l’histoire dans divers pays.
Selon moi, ce type d’étude doit tenir compte du fait que, depuis son introduction dans le programme scolaire à la fin du 19e siècle, l’enseignement de l’histoire a poursuivi deux objectifs distincts. D’un côté, il a servi à former et à renforcer la cohésion des sentiments reliés à l’identité et à l’appartenance des citoyens des états-nations. D’un autre côté, il a servi à développer le jugement critique des citoyens sur le passé et le présent de leur société.
Tout cela génère une foule de sujets et de questions qui peuvent alimenter la recherche et la pratique. Est-ce que ces deux objectifs peuvent coexister de façon productive? Comment le citoyen compose-t-il avec les demandes contradictoires imposées par l’amour patriotique et le développement d’un jugement critique envers son histoire? Comment la compréhension des différents récits permet-elle de mieux comprendre le rôle et la responsabilité du citoyen au sein d’une société à l’ère du multiculturalisme et de la mondialisation?
Il faut étudier comment les ressources et les pratiques pédagogiques en histoire transmettent des récits historiques distincts (dominants et alternatifs). Quel est l’impact sur la façon dont les élèves comprennent le passé et le présent de leur société et sur leur identité et leur participation civiques? J’ai récemment publié History Education and the Construction of National Identities (Information Age Publishing, 2012), avec Mikel Ascensio et María Rodríguez-Moneo, une étude comparative qui traite de ces questions et incorpore la perspective de chercheurs canadiens, français, allemands, américains et d’autres nationalités.
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