L’enseignement de l’histoire en Turquie (Ismail H. Demircioglu)
Je travaille en didactique de l’histoire à titre de didacticien et chercheur en histoire depuis plus de 15 ans. J’ai obtenu un doctorat en didactique de l’histoire à Birmingham, au R.-U., et je mène des recherches sur la didactique de l’histoire et sur l’enseignement de l’histoire et des sciences humaines en Turquie. J’ai aussi pris part à des projets internationaux traitant d’éducation patrimoniale, de revues d’histoire populaire et d’enseignement de la guerre froide. De plus, j’ai rédigé des livres en turc et en anglais, publié des articles, présenté des communications à des conférences internationales, organisé des congrès nationaux et internationaux, et je suis présentement responsable de l’enseignement aux futurs enseignants d’histoire au secondaire à mon université.
Je fais de la recherche dans divers domaines reliés à l’enseignement de l’histoire en Turquie, incluant l’histoire de l’enseignement de l’histoire, la didactique de l’histoire, les manuels d’histoire et l’éducation à la paix. Mes recherches démontrent que l’enseignement de l’histoire en Turquie, qui remonte en 1869 dans les écoles publiques, a connu de grands changements au fil des ans. En 1923 après la Première Guerre mondiale, Kemal Ataturk, le fondateur de la Turquie moderne, a créé un État-nation laïque et, au cours de l’ère Ataturk (1923-1938), l’histoire et l’enseignement de l’histoire ont fait l’objet d’une grande attention. En effet, Ataturk considérait l’enseignement de l’histoire comme un instrument important dans la création d’un État-nation moderne et laïque. L’enseignement de l’histoire était perçu comme un outil de transmission de l’identité turque au sein de la société. En d’autres mots, cet enseignement était utilisé dans une perspective de construction de la nation. L’enseignement de l’histoire comme transmetteur d’identité s’est poursuivi jusqu’au début du 21e siècle alors que les politiques d’enseignement de l’histoire ont connu une certaine brisure, causée principalement par le désir de se joindre à l’Union européenne.
Au cours de la dernière décennie, il y a eu une réforme des programmes d’enseignement de l’histoire et des autres matières de base aux niveaux primaire et secondaire, l’objectif étant d’y intégrer les nouvelles approches développées dans le monde moderne. Avant ces changements, l’enseignement de l’histoire dans les écoles secondaires turques était critiqué, parce que les élèves, selon certains chercheurs, n’apprenaient que des noms, des dates et des évènements. Cet accent sur la mémorisation n’avait pas facilité le développement des habiletés supérieures de la pensée et cela était perçu comme un obstacle à l’intégration de la société turque au monde moderne. L’Union européenne exerçait aussi une certaine pression afin que la Turquie réforme l’enseignement et d’autres domaines. La combinaison de ces facteurs a provoqué des changements en enseignement de l’histoire et dans d’autres matières.
Bien que l’enseignement de l’histoire en Turquie ait connu des changements positifs, il existe encore des obstacles importants. Mes recherches indiquent que depuis 2010 il y a un déclin dans la qualité de l’enseignement fourni aux futurs enseignants d’histoire à cause de la piètre qualité de la structure des programmes d’enseignement. Il semble également que les futurs enseignants d’histoire ne reçoivent pas un soutien adéquat de la part de mentors pendant leurs stages d’enseignement. Par ailleurs, certains enseignants d’histoire au secondaire utilisent des approches d’enseignement démodées, notamment« le cours magistral », ce qui ne favorise pas chez les étudiants le développement d’habiletés supérieures de pensée. Ces enseignants ne possèdent pas non plus les compétences nécessaires pour mesurer et évaluer l’acquisition des connaissances. Une étude des examens d’histoire permet de constater que les enseignants conçoivent souvent leurs questions sur la base de la taxonomie de Bloom qui définit le niveau requis d’apprentissage des connaissances. Quant au matériel pédagogique, bien que les nouveaux manuels d’histoire en Turquie se soient améliorés par rapport aux anciens modèles, ils présentent encore des lacunes. Certaines illustrations ne sont pas claires et d’autres ne sont pas directement reliées au contenu. De plus, les manuels d’histoire adoptent une perspective patriarcale où les femmes et les enfants ne sont pas représentés adéquatement, et ils ne favorisent pas le développement d’habiletés supérieures de pensée ni n’incluent l’histoire contemporaine. En dernier lieu, mes recherches indiquent que l’enseignement de l’histoire en Turquie ne favorise pas la tolérance, le respect des droits de la personne ou la démocratie à un niveau acceptable alors que tous ces critères sont essentiels dans une société démocratique.
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