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Les élèves favorisent-ils la version du manuel ou la mémoire collective?

Posted by Marie-Hélène Brunet
4 June 2012 - 12:57pm

Si les manuels d'histoire ont fait l'objet de nombreuses recherches sur leurs contenus, encore très peu de didacticiens se sont penchés sur la manière dont les élèves intéragissent avec les manuels et absorbent ou non les contenus proposés par ces derniers. L'étude selon nous la plus complète à ce sujet est celle du didacticien israélien Porat (2004).  Celui-ci s’est interrogé sur la relation entre la trame narrative d’un manuel et la conscience historique que les élèves formulent sur le conflit israélo-palestinien à partir de leur lecture du manuel. Il a procédé en trois étapes. D’abord, lors de la première phase, il a demandé à onze élèves de deux écoles israéliennes[1] de rédiger un texte portant sur un événement de 1920 (Tel Hai) très présent dans la mémoire collective israélienne. Les instructions demandaient à l’élève de rédiger ce texte comme s’il était lui-même auteur d’un manuel scolaire. Lors de la deuxième phase, Porat a procédé à des entrevues auprès des mêmes élèves. Il a utilisé la technique de « Read Aloud », c’est-à-dire qu’il a demandé aux élèves de lire des extraits de manuels scolaires pour ensuite réexpliquer l’événement dans leurs propres mots. Lors de cette même entrevue, les élèves étaient invités à commenter leur texte de la phase 1. Finalement, à la troisième phase, qui se déroulait dix mois après l’entrevue, les élèves devaient réécrire un texte sur le même événement. Cette dernière étape servait à voir si les changements observés lors de l’entrevue restaient ou non ancrés dans la conscience historique des élèves.

Pour la première étape, une majorité d’élèves (et tous ceux de l’école religieuse) ont produit un récit se rapprochant de la mémoire collective et comportant très peu d’éléments (sinon aucun) de connaissance. Une fois en contact avec le manuel, les élèves n’ont pas contesté ouvertement le récit du manuel, mais ils l’ont intégré à leur manière. En effet, loin d’adopter ce qui était présenté dans les extraits de manuel, ils l’ont reconfiguré de façon à réconcilier la trame narrative légendaire aux nouveaux éléments appris permettant aux deux récits de se compléter l’un l’autre.

Les élèves n’ont pas semblé conscients des contradictions entre ce qu’ils connaissaient et une nouvelle version de l’événement proposé par le manuel. La manière dont ils ont interprété le contenu leur a permis de réduire les tensions possibles entre leurs connaissances antérieures et le manuel. Par ailleurs, quelques élèves, surtout ceux ayant été peu loquaces à la première phase, ont adopté le nouveau récit. À l’étape d’expliciter l’événement dans leurs mots, ils ont repris, en la simplifiant, la trame narrative du manuel.

L’un des aspects les plus originaux de la recherche de Porat se situe au niveau de son analyse d’un dernier récit écrit par les élèves dix mois après l’entrevue. Les résultats semblent indiquer qu’il y a eu très peu de rétention du discours du manuel et que les élèves ont adopté une fois de plus le discours de la mémoire collective. À quelques éléments de connaissance près (certains élèves en ont intégré plus que la première fois), les récits de cette dernière phase étaient plus similaires à ceux de la première phase qu’à ceux de l’entrevue.

En somme, Porat conclut que :

« la lecture du manuel n’a pas contribué à briser un mythe, mais plutôt à le sécuriser devant les difficultés allant de pair avec le ‘contremythe’. Les élèves ont ainsi absorbé et intégré les détails du nouveau récit à leurs idées initiales d’une façon leur permettant de conforter leurs croyances »[2] (p. 990).



[1] L’une de ces écoles (pour garçons) était assez conservatrice et religieuse et les parents étaient de tendance généralement sioniste (ils habitaient par ailleurs fréquemment dans les territoires occupés) (5 élèves). La deuxième école (mixte), laïque, était située près de Jérusalem et les parents avaient des tendances considérées plus à gauche socialement et politiquement (6 élèves).

[2] Traduction libre de: « The reading of the textbook narrative contributed not to the shattering of a myth, but to the securing of the myth in face of the challenges presented by the countermyth. The students absorbed and integrated the new details of the accidental narrative into their original account in a manner that supported and bolstered their legendary account ».

RÉFÉRENCE:

Porat, D. A. (2004). It’s Not Written Here, But This Is What Happened: Students’ Cultural Comprehension of Textbook Narratives on the Israeli–Arab Conflict. American Educational Research Journal, 41(4), 963-996.

 

Source de l'image: www.historama.com/online-resources/articles/israel/story_israel_first_in...