Les grands concepts et les objectifs ambitieux (S. G. Grant)
Malgré une capacité d’attention limitée, j’ai eu la chance d’avoir une carrière m’offrant la possibilité de suivre mon intuition scientifique. Bien que cette intuition m’ait amené à explorer le monde des programmes-cadres, des normes pédagogiques, des curriculums et des évaluations, j’ai toujours pensé que la pratique de l’enseignement était l’élément le plus important.
À part un court intermède avec les politiques et la pratique en alphabétisation et en mathématiques, mon travail a généralement porté sur les sciences humaines. Mon domaine principal est l’histoire, mais mon intérêt pour les programmes-cadres, les curriculums et autres sujets connexes a fait que j’ai toujours ressenti le besoin de regarder ce qui se faisait au-delà de la discipline.
J’ai consacré la presque totalité des 20 dernières années à mener des recherches et à rédiger sur les pratiques des enseignants d’histoire en lien avec les normes étatiques et les examens dont les enjeux sont très élevés. Ce travail m’a donné l’occasion de côtoyer des enseignants et leurs élèves, d’approfondir les actions liées à l’enseignement et à l’apprentissage et d’explorer les diverses manières dont les enseignants construisent leur pédagogie dans un contexte de responsabilisation.
Mon premier livre publié sur ce travail, History Lessons: Teaching, Learning, and Testing in U.S. High School Classrooms (Lawrence Erlbaum Associates, 2003), explorait le cas de deux enseignants d’histoire au secondaire avec pour toile de fond la recherche sur l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation. Initialement, je voulais faire reposer ce livre sur la notion de pedagogical content knowledge (la connaissance du contenu pédagogique) de Lee Shulman. Cela aurait pu se faire si je m’en étais tenu à l’enseignement et à l’apprentissage de l’histoire, mais j’étais tout aussi intéressé par la réaction des enseignants aux évaluations étatiques. Le concept de Shulman trouvait écho en moi, mais il semblait y manquer quelque chose.
Ce quelque chose était l’idée que l’enseignement se pratique toujours dans un contexte particulier. De nombreux facteurs peuvent influencer un contexte d’enseignement, mais ils ne participent pas tous aux efforts déployés par les enseignants. Comme je cherchais à saisir l’interaction entre l’enseignement, l’apprentissage et le contexte, j’ai donc conçu la notion d’ambitious teaching (l’enseignement avec des objectifs ambitieux). Ma définition de cette idée était centrée sur a) le niveau de connaissance des enseignants du sujet à enseigner et de son potentiel pour enrichir la vie des élèves; b) leur connaissance des élèves, ce qui inclut comprendre leur type de vie, la façon dont ils réfléchissent au monde et le perçoivent, et le fait qu’ils soient nettement plus compétents qu’ils ne le pensent ou que les autres semblent le penser; c) la capacité des enseignants de créer l’espace nécessaire pour eux-mêmes et leurs élèves dans un environnement où les autres (c'est-à-dire les administrateurs, les autres enseignants) pourraient n’apprécier aucun de leurs efforts à leur juste valeur.
Lorsque je discutais d’History Lessons avec des collègues, on en arrivait inévitablement au besoin de citer plus d’exemples du travail d’enseignants ayant des objectifs ambitieux. Ces conversations ont mené à la publication de Teaching History with Big Ideas: Cases of Ambitious Teachers (Rowman and Littlefield, 2010). Ma coéditrice Jill Gradwell et moi y avons utilisé un autre concept que j’avais déjà abordé, soit l’idée des big idea questions. Une question liée à un grand concept (par ex., la Révolution américaine était-elle révolutionnaire?) fournit un cadre d’enseignement ayant une pertinence intellectuelle autant pour l’enseignant que pour l’élève. Les chapitres rédigés par les enseignants décrivent leurs hypothèses sur l’enseignement, l’apprentissage et le contexte ainsi que l’interaction entre ces trois modes. Dans le chapitre consacré à l’analyse transversale, Jill et moi avons relevé les schémas qui ressortent des réactions des enseignants par rapport aux défis relevés, ce qui nous a permis de développer la notion d’un enseignement avec des objectifs ambitieux.
Je suis fier de ce travail, mais il y a environ un an, j’ai eu la chance de le voir s’actualiser dans des classes. Comme j’avais collaboré au College, Career, and Civic Life (C3) Framework for Social Studies State Standards, on m’a demandé de diriger la conception d’un curriculum (Toolkit) en appui aux nouvelles normes en sciences humaines de l’État de New York, normes qui s’appliquent de la maternelle à la 12e année. Mes collègues, Kathy Swan et John Lee, et moi-même avons conçu un projet basé sur l’Inquiry Design Model (IDM) que nous avions commencé à élaborer lors de recherches antérieures. Les 84 unités ou enquêtes d’enseignement qui forment le cœur du projet K-12 Toolkit utilisent l’IDM pour favoriser l’enseignement par enquêtes avec des questions accrocheuses, des arguments basés sur des éléments de preuve, des sources disciplinaires et des actions posées sur la base des acquis. Ainsi, les enquêtes du Toolkit reflètent les quatre dimensions de l’arc d’enquête du C3 Framework. La réponse des enseignants fut excellente et s’explique principalement par la perception que l’effort qui est fourni nourrit et reconnaît leur expertise et leur jugement professionnels.
- Se connecter ou créer un compte pour soumettre des commentaires
- English