Le rapport entre la pensée et la conscience historiques (Catherine Duquette)
C’est au terme de ma maîtrise en histoire que je fus confrontée pour la première fois à la possibilité de donner un cours dans cette discipline. Cette situation déclencha chez moi un questionnement important : comment enseigner l’histoire? Comment enseigner à « faire de l’histoire » comme je venais moi-même de l’apprendre lors de ma maîtrise? Ce questionnement a conduit ma thèse de doctorat, puisque c’est en cherchant des réponses que j’en suis venue à m’intéresser tout d’abord à la didactique de l’histoire puis à relation possible entre la pensée et la conscience historiques.
Cet intérêt est tout d’abord né du fait que de nombreuses études ont montré que l’apprentissage de l’histoire par la pensée historique est loin d’être naturel pour les élèves. Cette situation a entraîné les chercheurs à s’interroger sur les moyens pouvant en faciliter l’apprentissage. Un intérêt grandissant envers la conscience historique comme piste de solution possible s’est alors manifesté, tant au Canada qu’en Europe. Or, la conscience historique demeure encore un concept nébuleux. On lui attribue, en effet, plusieurs définitions, tant sur le plan de sa nature que sur ses liens entretenus avec la pensée historique. Si de nombreuses recherches soulignent l’importance de la conscience historique dans le processus de compréhension de l’histoire, aucun auteur ne définit clairement le rapport qu’elle entretient avec la pensée historique. Il m’a alors semblé justifié de s’interroger sur la nature précise de ce lien. En somme, de quelle manière la conscience historique influence-t-elle le développement de la pensée historique et vice versa?
Pour répondre à ce questionnement, j’ai entrepris une recherche empirique auprès de 148 élèves de cinquième secondaire résidant au Québec. Afin de faire émerger chez ces derniers le rapport qui m’intéressait, ceux-ci étaient invités à compléter un protocole de recherche composé de quatre étapes, soit :
1. à partir d’un questionnaire, résoudre un problème à caractère historique permettant de faire émerger leur conscience historique initiale;
2. à l’aide d’une entrevue et d’un travail sur des documents, déclencher un conflit cognitif permettant de remettre en question les interprétations de départ;
3. toujours lors de l’entrevue, compléter une activité impliquant leur pensée historique;
4. finalement, afin de faire émerger les éléments composant leur conscience historique subséquente, réinterpréter le problème initial en se basant sur le travail effectué à l’étape précédente.
Les résultats de cette enquête tendent tout d’abord à souligner la possible existence de deux niveaux de conscience historique. Au premier niveau, l’humain accepte l’ensemble des récits qui lui semblent cohérents pour interpréter le passé, comprendre le présent et envisager l’avenir. À ce niveau, la conscience historique demeure non-réfléchie. Au deuxième niveau, l’individu prend conscience de sa propre subjectivité et de l’influence de son présent dans la façon dont il s’interroge et comprend le passé. La conscience historique devient alors une conscience réfléchie.
Les résultats semblent également indiquer qu’il existe un rapport étroit entre le développement d’une conscience historique réfléchie et l’apprentissage de la pensée historique. En effet, l’analyse de la conscience historique des participants a permis d’établir une échelle de développement composée de quatre niveaux : primaire, immédiat, composite et narratif. Les niveaux primaire et immédiat se rapprochent d’une conscience historique non-réfléchie tandis que les niveaux composite et narratif sont, quant à eux, plus près d’une conscience réfléchie. L’analyse des entrevues a également permis de constater que la majorité des participants parvenaient à un niveau de conscience historique plus élevé suite à la recherche. Pour expliquer cette amélioration, une corrélation entre les caractéristiques de la pensée historique des élèves et les quatre niveaux de conscience historique a été complétée. De manière générale, les résultats obtenus indiquent que plus la pensée historique est développée chez un individu, plus son niveau de conscience historique sera élevé.
D’autre part, la recherche tend à suggérer que l’apprentissage des différents éléments composant la pensée historique (souvent désignés en anglais par le terme second order concepts) suit une progression bien précise où la maîtrise de certains éléments est nécessaire au développement des autres. Enfin, les résultats laissent sous-entendre que le niveau de conscience historique des élèves influence, dans une certaine mesure, leur compréhension de l’histoire. Les participants ayant une conscience historique de niveau primaire ou immédiat tendent à comprendre l’histoire comme un récit véridique et inchangeable, tandis que ceux du niveau composite et narratif la perçoivent plutôt comme une interprétation critique du passé.
Tout bien considéré, cette thèse de doctorat aura servi à répondre à certaines de mes questions, mais surtout, à ouvrir plusieurs pistes de recherche qu’il faudra maintenant approfondir!
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