Le pouvoir du rapport d’empathie : la pédagogie de l’histoire et l’histoire des enfants et de l’enfance (Mona Gleason)
À l’inverse d’autres domaines spécialisés chapeautés par l’histoire sociale, l’histoire des enfants et de l’enfance possède un public qui peut facilement s’y identifier. Après tout, peu importe qui nous sommes (ou notre âge), nous avons tous été jeunes. Puisant dans mon plus récent livre, Small Matters: Canadian Children in Sickness and Health, 1900 to 1940 (Montreal-Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2013), je suggère ici que le rapport d’empathie avec l’histoire des enfants (mon sujet de recherche principal) peut rehausser la pédagogie de l’histoire, et ce, autant pour les éducateurs que pour les apprenants. Relié à la compréhension historique, le rapport d’empathie signale une connexion profonde avec les expériences des populations du passé. Ce type de rapport offre une occasion formidable aux éducateurs et aux étudiants de se transposer dans le passé et d’envisager, peut-être différemment, pourquoi et comment la question du changement revêt une si grande importance.
Le rapport d’empathie avec les personnes et les évènements est un moyen efficace pour attirer les apprenants à la pédagogie de l’histoire. Les meilleurs éducateurs sont toujours à la recherche de façons de « faire revivre » l’histoire à leurs étudiants. Les apprenants, pour leur part, sont attirés par un matériel historique qui « leur parle ». Lorsque nous pouvons nous identifier à la matière et nous y investir émotionnellement et intellectuellement, nous constatons immédiatement son importance et nous avons tendance à la valoriser. C’est là le grand avantage empathique de l’histoire des enfants et de l’enfance. Les souvenirs que nous avons de l’époque où nous avons grandi, sommes devenus des êtres sociaux, sommes allés à l’école, avons forgé des amitiés et surmonté des difficultés, tous ces souvenirs créent un lien extrêmement intime avec les personnes du passé. Les étudiants plus âgés se souviennent très bien de la façon sont ils se sont sentis lorsque leurs parents, leurs enseignants ou leurs gardiennes les punissaient, de l’importance de leur jouet préféré, de la douleur ressentie lorsque quelqu’un les taquinait à l’école ou de la joie associée aux vacances et aux traditions familiales. Les plus jeunes expérimentent ces jalons sociaux et culturels et comprennent immédiatement comment ces évènements façonnent leur perception d’eux-mêmes et leur rapport au monde. Les récits de notre enfance, qu’ils soient positifs ou négatifs, nous relient aux enfants du passé et les uns avec les autres. L’histoire orale dans la production des récits d’enfants et d’enfance permet aussi aux étudiants de connaître les défis et les avantages reliés à cette méthode.
Par exemple, connaître les saines habitudes de vie et les façons de combattre la maladie, une dimension qui s’applique à tous les enfants, fournit un sentier balisé qui permet de mieux comprendre la relation complexe et pourtant révélatrice entre la mémoire et l’histoire. Dans Small Matters, les récits oraux d’hommes et de femmes ayant grandi au Canada ont fourni d’innombrables histoires sur ce qu’ils ont appris (et n’ont pas appris) sur la santé dans les écoles et à la maison. Ainsi, plusieurs familles, pour traiter une infestation de poux, versaient du kérosène sur la tête des enfants et l’y laissaient pendant plusieurs heures. Bien qu’efficace, ce traitement irritait le cuir chevelu et était douloureux. Une fois traités, les enfants retournaient à l’école et étaient souvent ridiculisés et victimes d’intimidation parce qu’ils étaient « sales ». Ce type de récits explique pourquoi les éducateurs contemporains s’assurent de faire comprendre à leurs étudiants que les poux n’indiquent pas un manque de propreté et que l’intimidation a une longue et triste histoire!
D’autres enfants ont souffert de maladies qui se traitent facilement aujourd’hui, comme des otites, et pour lesquelles nous avons des traitements simples qui n’existaient pas autrefois. À l’époque où la vaccination n’avait pas reçu l’approbation générale, les enfants victimes de maladies graves, comme la méningite, la variole ou la coqueluche, mouraient souvent ou passaient de longs mois, voire des années, à l’hôpital. Dans un chapitre de Small Matters traitant de séjours à l’hôpital, des adultes racontent des histoires extrêmement touchantes sur la grande solitude qu’ils ont vécue dans leur enfance pendant une hospitalisation. Avant les années 1960, la médecine préconisait l’isolement des enfants hospitalisés afin de prévenir la propagation de la maladie à d’autres membres de la famille. Les médecins et les infirmières étaient également d’avis que la visite des parents rendait la séparation plus difficile au moment du départ.
Les histoires orales qui donnent une voix aux personnes de diverses origines raciales et sociales, notamment les récits qui nous éclairent sur les normes genrées en vigueur dans le passé, font ressortir l’inclusion, l’exclusion, la dynamique du pouvoir, la résilience et les préjudices dans l’histoire des enfants. Les expériences des enfants non blancs, dont ceux des Premières Nations, et des enfants étiquetés comme handicapés, forment le cœur de Small Matters et aident les étudiants à voir le passé comme un terrain contesté, et ce, même pour les plus jeunes des Canadiens. Le pouvoir du rapport de l’empathie permet aux étudiants de tous âges d’établir un lien avec ces mémoires. Plusieurs d’entre eux ont expérimenté la maladie, la solitude et la résilience. Lorsqu’ils s’en souviennent, ils ont tendance à chercher plus loin pour comprendre pourquoi et comment les attitudes envers les enfants, leurs capacités et leurs besoins ont changé au fil des ans. En acceptant les nombreux avantages qu’apporte un rapport d’empathie avec leur passé récent, les éducateurs et les apprenants peuvent expérimenter une histoire qui peut leur parler réellement.
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