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Le manuel, un outil bizarre?

Posted by Vincent Boutonnet
7 May 2012 - 2:24pm

Moniot remarquait avec lucidité que le manuel est un « bizarre objet intellectuel et culturel, quelque part entre science historique et mémoire publique » (1993, p. 200). Il faut y comprendre que le manuel est le reflet de son temps, un construit social qui est soumis à plusieurs contraintes et attentes. En fait, il est un compromis, une certaine conciliation, entre les programmes, les auteurs, les maisons d’édition et la demande sociale (Baquès, 2005; Lebrun & Niclot, 2009; Moreau, 2006; Sewall, 2005). Bruyère (2008) dénonce même le facteur économique qui semble prendre le dessus dans le domaine de l’édition étatsunienne ainsi que la demande sociale pour correspondre à un récit historique qui convienne à la clientèle de certains districts scolaires…

Cette médiation culturelle et sociale par l’entremise du manuel est reconnue par de nombreux chercheurs en particulier sur la question de la nation, la transmission d’un récit historique officiel et l’évolution des choix curriculaires au fil du temps (Chen, 2010; Janmaat, 2006; Laville, 1987; Moreau, 2006; Nicholls, 2006; Ogawa & Field, 2006; Thornton, 2006; Vanhulle, 2009; Volodina, 2005; Wertsch, 1997).

Pourtant la réception effective du récit du manuel par les élèves semble mitigée. D’un côté, le manuel ne garantit pas aussi facilement la transmission de valeurs sociales et normatives pour tous les élèves et en particulier pour ceux d’origine ethnique différente (Epstein, 1994, 1997; Porat, 2004). D’un autre côté, une grande majorité d’élèves considèrent le manuel comme garant d’un savoir vrai et indiscutable (Bain, 2006; Hsiao, 2005; Paxton, 2002; Wineburg, 1991).

Les deux facettes de cet outil bizarre ne nous semblent contradictoires qu’en apparence. En effet, même s’il est évident que la médiation culturelle et historique est soumise à la réception effective des élèves, rien n’empêche un usage important du manuel. Le manuel est ainsi considéré comme une référence indiscutable par les élèves parce qu’ils y sont habitués. En fait, Bain (2006, p. 2085) remarque que cette utilisation peut être associée à un rituel. Les élèves ont grandi et sont passés de classe en classe en utilisant des manuels et sont habitués à les considérer comme la seule source d’autorité

[1]

,mais ne l’intégreront pas nécessairement dans leurs représentations sociales.

Alors, oui, le manuel est bien un outil bizarre…

 

Astolfi, J.-P. (1994). L'école pour apprendre. Paris: ESF Éditeur.

Bain, R. (2006). Rounding Up Unusual Suspects: Facing the Authority Hidden in the History Classroom. Teachers College Record, 108 (10), 2080-2114.

Baquès, M.-C. (2005). Manuels d'histoire et pratiques scolaires en France depuis 1880.  Dans J.-L. Jadoulle (Dir.), Les manuels scolaires d'histoire. Passé, présent, avenir (pp. 33-53). Louvain-la-Neuve: Université Catholique de Louvain.

Bruyère, C. (2008). Manuels scolaires américains : les éditeurs sur tous les fronts. Sources, 20, 83-100.

Chen, Q. (2010). Curriculum Reform and the Writing of High School History Textbooks in China. Social Education, 74 (1), 42-44.

Epstein, T. L. (1994). America Revised Revisited: Adolescents' Attitudes Towards a United States History Textbook. Social Education, 58 (1), 41-44.

Epstein, T. L. (1997). Sociocultural Approaches to Young People's Historical Understanding. Social Education, 61 (1), 28-31.

Hsiao, Y.-M. (2005). Taiwenese Students' Understanding of Differences in History Textbook Accounts.  Dans R. Ashby, P. Gordon & P. Lee (Dir.), Understanding History. Recent Research in History Education (pp. 54-67). New York: RoutledgeFalmer.

Janmaat, J. G. (2006). History and National Identity Construction: The Great Famine in Irish and Ukrainian History Textbooks. History of Education, 35 (3), 345-368.

Laville, C. (1987). Évolution du manuel d'histoire au secondaire. Bulletin de liaison de la SPHQ, 25 (5), 21-25.

Lebrun, J., & Niclot, D. (2009). Les manuels scolaires: réformes curriculaires, développement professionnel et apprentissage des élèves. Revues des sciences de l'éducation, 35 (2), 7-14.

Moniot, H. (1993). Didactique de l'histoire. Paris: Nathan.

Moreau, D. (2006). Les manuels, transmission simple ou contribution originale? Analyse de trois manuels d'histoire nationale.  Dans M. Lebrun (Dir.), Le manuel scolaire. Un outil à multiples facettes (pp. 251-276). Québec: Presses de l'Université du Québec.

Nicholls, J. (2006). School History Textbooks Across Cultures: International Debates and Perspectives. Oxford: Symposium Books.

Ogawa, M., & Field, S. L. (2006). Caution, Controversy and Contrition: Recent Development in Japanese History Textbook Content and Selection Process.  Dans J. Nicholls (Dir.), School History Textbooks Across Cultures: International Debates and Perspectives. (pp. 43-60). Oxford: Symposium Books.

Paxton, R. J. (2002). The Influence of Author Visibility on High School Students Solving a Historical Problem. Cognition and Instruction, 20 (2), 197-248.

Perrenoud, P. (2004). Métier d'élève et sens du travail scolaire. Paris: ESF Éditeur.

Porat, D. A. (2004). It’s Not Written Here, But This Is What Happened: Students’ Cultural Comprehension of Textbook Narratives on the Israeli–Arab Conflict. American Educational Research Journal, 41 (4), 963-996.

Sewall, G. (2005). Textbook Publishing. Phi Delta Kappan, 86 (7), 498-502.

Thornton, S. J. (2006). What is History in US History Textbooks?  Dans J. Nicholls (Dir.), School History Textbooks Across Cultures: International Debates and Perspectives (pp. 15-25). Oxford: Symposium Books.

Vanhulle, B. (2009). The Path of History: Narrative Analysis of History Textbooks - A Case Study of Belgian History Textbooks (1945-2004). History of Education, 38 (2), 263-282.

Volodina, T. (2005). Teaching History in Russia After the Collapse of the USSR. The History Teacher, 38 (2), 179-188.

Wertsch, J. V. (1997). Narrative Tools of History and Identity. Culture & Psychology, 3 (1), 5-20.

Wineburg, S. S. (1991). On the Reading of Historical Texts: Notes on the Breach between School and Academy. American Educational Research Journal, 28 (3), 495-519.



[1]

Ceci rejoint l’idée selon laquelle être un élève c’est un métier (Astolfi, 1994; Perrenoud, 2004) par lequel il faut s’habituer à une routine dont l’usage répété et important du manuel fait partie. C’est pourquoi Bain (2006) parle de rituel.