L'agentivité historique, qu'est-ce que ça mange en hiver?
20 January 2012 - 1:57pm
Micheline Dumont, historienne et didacticienne s'est souvent questionnée sur la manière de présenter les femmes dans les récits historiques:
« On doit se demander pourquoi, dans les livres d’histoire, on insiste pour dire que ce sont les gouvernements qui ont «accordé » le droit de vote aux femmes, au lieu d’expliquer pourquoi et comment les femmes l’ont « réclamé ». Cette occultation des actions politiques des femmes contribue à nier leur rôle historique. » (Dumont, 1998, p. 50)
Au fait, de quoi est-il question exactement dans cet extrait? Dumont parle de l'agentivité historique. Comment les acteurs sont-ils présentés dans les manuels d'histoire? Quel rôle leur attribue-t-on dans les changements historiques?
Je ne suis pas la seule à croire que cet aspect est fondamental. Ainsi, dans le PFÉQ, on indique que les élèves devraient être amenés, dans leur cours d'histoire et d'éducation à a la citoyenneté à « découvrir que le changement social est tributaire de l’action humaine » (MELS, 2006, p. 23). C'est là où la différence est importante entre un enseignement de l'histoire qui attribue les changements sociaux aux structures décisionnelles et gouvernementales ("accorder le droit de vote aux femme") et un enseignement de l'histoire qui insiste plutôt sur les actions individuelles et collectives ("pourquoi et comment les femmes l'ont réclamé").
Prenons un autre exemple. Lors de mon cours d'histoire de secondaire 4, j'ai toujours eu tendance à associer la Révolution tranquille au Québec aux seules actions du gouvernement Lesage; me venaient alors en tête les slogans de ce parti politique, la nationalisation de l'électricité, la loi 16 adoptée par ce gouvernement (sur l'égalité juridique des femmes). Certes, la Révolution tranquille est en grande partie liée aux changements apportés par le parti libéral de l'époque et il serait malhonnête d'occulter le rôle de Jean Lesage et de ses ministres à l'époque, mais ces changements n'auraient pu avoir lieu sans le travail acharné des syndicats, des groupes de femmes, et de la population en générale (il ne faut pas oublier d'ailleurs que c'est elle qui a décidé d'élir ce gouvernement). Ne serait-il pas important de laisser un plus grande place à l'agentivité de ces groupes dans notre enseignement et dans les manuels d'histoire?
La didacticienne suisse Nadine Fink (2009) s’inquiète elle aussi d’un enseignement parfois trop téléologique de l’histoire, c’est-à-dire « la conception d’une histoire qui serait entièrement déterminée par les sphères du pouvoir et passivement subie par les gens ordinaires […], [où] le cours de l’histoire reste […] considéré comme quelque chose d’inéluctable » (p. 196). Pour éviter cette conception, elle croit que les récits de l’histoire doivent présenter les luttes comme le résultat de choix que des individus ont faits, dans les limites qui leur étaient imposées par les structures en place, et qui ont des répercussions sur le présent.
Je lance donc ce questionnement: notre enseignement de l'histoire et nos manuels scolaires font-ils place à l'agentivité des différents groupes participants aux changements sociaux? Pensez-vous qu'il est important de faire une place plus grande aux groupes sociaux qu'aux structures politiques?
Référencesl
Dumont, M. (1998). L’histoire nationale peut-elle intégrer la réflexion féministe sur l’histoire?. Dans Robert Comeau et Bernard Dionne (dirs), À propos de l’histoire nationale (p.19-36). Sillery : Septentrion
Fink, N. (2009). Témoignage oral et pensée historique scolaire: "des petits tas qui font un grand tas qui font la Deuxième Guerre mondiale" (Marion, 15 ans), Le cartable de Clio, 9, 190-199.
Ministère de l'éducation, du loisir et du sport (2006). Programme de formation de l'école québécoise, chapitre 7. Enseignement secondaire, deuxième cycle. Québec, Gouvernement du Québec, 109 p.
- Se connecter ou créer un compte pour soumettre des commentaires