La contraception : bien plus que d’empêcher la rencontre d’Ovule et de Sperme (Christabelle Sethna)
Mes intérêts de recherche englobent l’histoire de l’éducation sexuelle, de la contraception et de l’avortement. Dernièrement, je réfléchissais à la façon de faire connaître mes recherches à la population lorsque Viviane Gosselin, conservatrice et spécialiste des questions contemporaines au Museum of Vancouver, m’a demandé de prendre part à son projet d’exposition, Sex Talk in the City. Peu de chercheurs ont la chance d’aller au-delà de la trajectoire d’un projet, c’est-à-dire de l’idée de départ à la recherche à l’impression. Ma participation représente donc une occasion d’approfondir le « transfert des connaissances », une expression très à la mode. Je suis heureuse de collaborer avec des créateurs qui présenteront le travail d’historiens canadiens au public des musées. C’est un rêve qui devient réalité!
L’histoire de la contraception au Canada est en lien direct avec les lois, la laïcisation de la société et l’évolution du statut des femmes. Selon le Code criminel canadien, la contraception et l’avortement ont été criminalisés à partir de la fin du 19e siècle. Un certain mouvement de contrôle des naissances est apparu dans les années 1920 et il a reçu l’appui des féministes et des socialistes. Il a cependant rapidement été contrôlé par des eugénistes qui approuvaient la contraception, car cela permettrait de restreindre la fertilité des classes ouvrières, des personnes handicapées, des populations immigrantes et des non-Blancs. Ils insistaient également sur la stérilisation des personnes jugées inaptes à procréer. Quant à l’avortement, il se pratiquait dans la clandestinité.
La contraception peut être masculine ou féminine, ou elle peut demander la coopération des deux sexes. La pilule anticonceptionnelle est une contraception entièrement féminine. Elle a été conçue dans les années 1950 comme aide à la planification familiale pour les femmes mariées dans les pays développés et comme mécanisme de contrôle à saveur vaguement eugénique pour la population des pays en voie de développement. L’arrivée de la pilule au Canada au début des années 1960 a donné naissance à un lobby pour la réforme du Code criminel. En raison de la débâcle de l’autorité religieuse, la contraception, à l’instar de l’avortement et de l’homosexualité, a alors été considérée comme une question de conscience personnelle. En 1969, le parlement a décriminalisé la contraception et l’homosexualité. L’avortement a été légalisé, bien que devant se faire dans des circonstances très restrictives. En 1988, la Cour suprême du Canada a annulé cette loi.
On pense à tort que la pilule est responsable de la révolution sexuelle des années 1960. Pourtant, les jeunes femmes avaient des relations hétérosexuelles préconjugales bien avant la pilule. En fait, les médecins hésitaient à la prescrire parce qu’ils craignaient de faire la promotion de l’immoralité sexuelle ou parce qu’ils n’en connaissaient pas les effets secondaires. Ils prescrivaient la pilule à des jeunes filles qui avaient des problèmes d’irrégularités menstruelles ou qui étaient sur le point de se marier.
Une partie de mes recherches concerne spécifiquement la région de Vancouver et mon artefact préféré est The Ubyssey, le journal étudiant de la UBC. J’y ai pigé des grands titres, des articles, des éditoriaux, des lettres de lecteurs, des caricatures, des légendes, des publicités et des photographies tirés de numéros des années 1960 pour étudier les expériences étudiantes de la révolution sexuelle en lien avec l’autonomie sexuelle des jeunes femmes célibataires. Ma plus belle trouvaille est un article sur les exploits d’Ann Ratel, une journaliste étudiante qui a mis sur pied une opération d’infiltration en 1965 afin de tester si l’hésitation que semblait démontrer les Student Health Services (SHS) de la UBC à l’hôpital Wesbrook pour prescrire la pilule aux étudiantes célibataires était une réalité. Ann a emprunté une alliance et s’est présentée sous un faux nom aux SHS comme une jeune mariée. Elle a reçu une prescription d’Ortho-Novum pour deux ans. Sous un titre croustillant, Unortho-dox: Our bachelor girl perforates leaky Wesbrook pill policy, le journal a imprimé la prescription, mais a heureusement noirci la signature du médecin.
Cette opération a causé toute une tempête. Une étudiante a accusé les SHS de forcer les célibataires à courir le risque d’une grossesse non désirée. D’autres ont dénoncé la journaliste en disant que dorénavant les SHS obligeraient les femmes à montrer leur certificat de mariage pour obtenir une prescription. D’autres encore ont accusé le journal de sensationnalisme. Les plus sévères ont affirmé sans détour qu’Ann Ratel n’avait fait que confirmer que les SHS ne prescrivaient la pilule qu’aux étudiantes déjà mariées.
La pilule est aujourd’hui utilisée par de nombreuses jeunes célibataires comme méthode contraceptive bien que certaines marques aient été conçues pour éliminer l’acné ou réduire le nombre des cycles menstruels. À cause de la popularité de la pilule, la contraception est considérée comme une responsabilité féminine. D’un côté, cette responsabilité permet aux femmes de contrôler leur fertilité, mais d’un autre côté, elles sont souvent tenues responsables pour les grossesses non désirées. Aujourd’hui, le renouvellement de l’opposition à l’avortement pourrait accentuer encore plus l’importance d’une utilisation efficace de la contraception. Ou ce pourrait être un signe que c’est la contraception féminine qui est attaquée, car elle représente un symbole trop puissant de l’autonomie sexuelle des femmes.
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