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La conscience historique / Prix du Gouverneur général 2014

Posted by Marc-André Lauzon
28 Avril 2014 - 10:17am

Cette année, je présente ma candidature pour le Prix du Gouverneur général en histoire. Le texte présenté devait aborder les sujets suivants et souvent à l'intérieur de 500 mots ce qui limitait mes propos. Le thème était celui de la fédération canadienne:

- Description du projet

- Le niveau enseigné

- La philosophie d'enseignement

- Le projet

- Le rôle jouer dans le développement de la pensée historique

Description du projet

Le projet consiste à tisser des liens entre le présent et le passé, c’est-à-dire l’impact de la formation de la fédération canadienne sur notre présent.  Pour comprendre le présent à la lumière de passé, l’élève doit mobiliser sa pensée historique, ainsi que ses connaissances historiques. C’est à l’aide de cinq questions que les élèves doivent mener leur enquête. Les réponses des élèves me permettront de mesurer les opérations intellectuelles de la pensée historiques, et ce, dans le but d'évaluer et de faire progresser cette dernière.

Niveau enseigné

J’enseigne le cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté en troisième secondaire. Le cours a l’objectif  « n’a pas pour but de faire mémoriser à l’élève une version simplifiée et commode de l’histoire de savoirs savants, générés et construits par des historiens, ni lui faire acquérir des connaissances factuelles de type encyclopédique. Il s’agit plutôt de l’amener à développer des compétences qui l’aideront à comprendre les réalités sociales du présent à la lumière du passé » (MELS, 2003, p. 337). Ce développement se fait à l’aide d’opérations intellectuelles de la pensée historique.

Le programme de troisième secondaire s’articule autour d’angles d’entrée et celle sur la fédération canadienne est la « dynamique entre l’industrialisation et les transformations sociales, territoriales et politiques ». En d’autres mots, il s’agit des conséquences territoriales, sociales et politiques de l’industrialisation, et ce, à travers les concepts de continuité et de changement.

Le programme s’articule autour de concepts centraux et ceux qui retiennent davantage mon attention sont dans un premier temps le concept de « fédération » et « d’industrialisation ». Dans un second temps, le concept de « Politique nationale » me permet de tisser un lien entre les « fédération » et « industrialisation ».

Les contenus /savoirs / connaissances / substances historiques s’articulent autour du cheminement vers la fédération, la fédération canadienne, le système politique, les relations avec les Métis et les Amérindiens, la relation avec la Grande-Bretagne et le développement industriel (MELS, 2011, p. 16-18).

Après le projet, les élèves, et je l’espère, ont une bonne conception de ce qu’est aujourd’hui et dans le passé la fédération canadienne.

Philosophie

Mon cadre théorique s’inspire du « Rapport entre la pensée historique et la conscience historique » de Catherine Duquette (2011), professeur en didactique à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Au cœur de ma philosophie, nous retrouvons la conscience historique qui est « la compréhension du présent à l’aide du passé dans le but d’envisager le futur » (Duquette, 2011, p.36). Pour cette raison, je travaille aussi à partir du présent. J’aborde plutôt les sujets / thèmes / problématiques historiques à l’aide du présent, ce qui touche et motive mes élèves. Plus important encore, je peux confronter leurs préconceptions ainsi que leurs préjugés sur des sujets historiques comme contemporains.

Quel rôle joue la pensée historique dans ma philosophie si la conscience historique est si importante ? C’est ici la beauté du modèle de Duquette (2011), car la conscience historique comporte deux niveaux et chacun d’entre eux est rattaché à des opérations intellectuelles de la pensée historique. Le premier est non-réfléchi, c’est-à-dire non critique. À ce niveau, les réponses des élèves n’utilisent pas le passé pour expliquer le présent. Si l’élève n’utilise pas le passé, c’est qu’il est incapable d’utiliser les concepts de cause, conséquence, changement et continuité. De plus, il n’aborde pas les sources historiques avec sérieux. Il a donc une conscience historique primaire ou immédiate. Au deuxième niveau, la conscience historique est dite réfléchie, c’est-à-dire critique. À ce niveau, les réponses des élèves sont élaborées à l’aide d’arguments, de causes, de conséquences, de changements, de continuité et de faits historiques pour expliquer le présent à l’aide du passé. L’élève a ainsi une conscience historique composite ou narrative. Chaque stade, c’est-à-dire, la conscience historique primaire, immédiate, composite ou narrative est précisément associé à des opérations intellectuelles de la pensée historique.  Plus la conscience historique d’un élève est développée, plus la pensée historique l’est aussi.  Dans un certain sens, la conscience historique joue le rôle d’une taxonomie et l’utilisation de cette dernière en classe tant pour planifier qu’organiser mes activités me permet d’y aller progressivement, et ce, tout en tenant compte du niveau de chacun de mes élèves. Et dans une perspective d’un programme par compétences, cette approche pédagogique me permet d’offrir de nombreuses rétroactions.

Ainsi, j’amorce l’année scolaire en abordant la notion de changement, puis progressivement les élèves cheminent jusqu’à l’empathie historique et la portée historique (historical significance). À travers cette progression, les élèves développent les opérations intellectuelles de la pensée historique, et ce, tant dans la perspective historique que dans la démarche historique. Voici les opérations : la portée historique, la continuité, le changement, les conséquences, les causes, l’empathie historique, la prise en compte de la complexité, s’interroger sur un événement, émettre des hypothèses, interpréter des documents, citer des sources, faire des liens, nuancer son interprétation, transférer les connaissances.

Outre la conscience historique, j’aborde d’autres facettes de l’histoire. Tout au long de l’année, j’amène mes élèves à voir l’histoire comme une construction, une interprétation influencée par le présent. Conséquemment, mes élèves (la plupart) terminent avec la compréhension qu’il existe des courants historiographiques. Je ne me gêne pas pour poser des questions comme « Quand est-ce que l’histoire commence ? » sans jamais donner ma réponse, car j’apprécie particulièrement voir mes élèves verbaliser et à « patiner » autour de la question.

Mon activité s’arrime avec ma philosophie, car en posant une question dans le présent comme « Pour quelle raison le Canada est-il constitué de gouvernements provinciaux et d’un gouvernement fédéral ? » l’élève doit mobiliser substance et procédure historiques afin d'y répondre. De plus, pour arriver à ses fins l’élève peut utiliser tout son matériel, ses notes, son manuel, ses réseaux de  concepts, son cellulaire, son ordinateur ainsi qu’un dossier documentaire constitué de sources historiques. Pour ne pas influencer la conscience historique de mes élèves, je ne réponds à aucune question et je garde les consignes très simples. Mon activité me permet aussi de déterminer la conscience historique initiale de mes élèves, celle avant l’acquisition et le développement des concepts et des savoirs historiques. Une fois la conceptualisation réalisée en classe à travers des activités plus théoriques, magistrales et conceptuelles, les élèves répondent à nouveau, ce qui me permet de déterminer la conscience historique subséquente pour donner de la rétroaction tant sur les opérations intellectuelles de la pensée historique que sur les connaissances.

Le projet

Le projet se déroule à l’école secondaire Beaurivage située à Saint-Agapit. S’agissant d’une zone rurale, il n’est pas aisé d’intéresser les jeunes. Nombreux élèves parlent d’activités comme le Ski-doo et le quatre-roues, deux loisirs qui sont absents et à des années lumières de ma culture. De plus, le décrochage scolaire est problématique dans notre milieu.

Le projet permet d’intéresser mes élèves, car il met en perspective le présent de ces derniers.

Dans la première phase du travail, les élèves abordent la réalité du présent et peuvent constater, comme par exemple que le Canada est constitué d’un gouvernement central (fédéral) ainsi que des provinces et des territoires. Ils peuvent aussi constater l’importance des zones urbaines et du réseau ferroviaire au Canada. À ce stade, tout le travail se réalise dans le présent.

Dans la seconde phase, une fois les constats terminés, les élèves répondent aux questions, ce qui me permet de déterminer leur conscience historique initiale, celle qui vient avant le travail historique relié à la pensée historique et l’acquisition de connaissances. Généralement, ne pouvant réaliser de travail critique et n’ayant non plus les connaissances historiques adéquates, les élèves se situent majoritairement au niveau de conscience historique primaire et immédiate, c’est-à-dire ne pas tenir compte du passé pour expliquer le présent. Voici les questions.

  • Pour quelles raisons aujourd’hui, 80% de la population canadienne habitent dans une zone urbaine ?
  • Pour quelles raisons aujourd’hui, 80 % de la population de l’Alberta, du Manitoba et la de Saskatchewan habitent le long de la frontière candienne-américaine, dans le sud de leur province ?
  • Pour quelles raisons aujourd’hui Québec, Montréal et Toronto sont aujourd’hui des centres économiques très importants au Canada ?
  • Pour quelles raisons le Canada est aujourd’hui constitué de gouvernements provinciaux et d’un gouvernement fédéral ?
  • Pour quelles raisons les chemins de fer sont aujourd’hui si présents dans les paysages du Québec et Canada ?

Vous avez probablement constaté que les questions s’entrecoupent. Poser la même question plusieurs fois avec des formulations différentes me permet de voir le niveau de conscience historique, c’est-à-dire la mobilisation des opérations intellectuelles de la pensée historique avec la capacité à transférer les connaissances

Dans une troisième phase, les élèves explorent les concepts importants reliées à la « Fédération » et à « l’industrialisation ». Le travail est réalisé à l’aide d’explications magistrales, d’un déploiement de réseaux de concepts et ce, joint à des sources primaires tirées du livre « Histoire du Canada par les textes, tome II, 1855-1960 » de Michel Brunet (1963). Le dossier documentaire est le même que pour la quatrième phase. Les textes utilisés sont les suivants.

  • Opinion de Georges-Étienne Cartier (discours du 29 octobre 1864)
  • Loi de 1867 concernant l’Amérique du Nord Britannique (extraits)
  • Création de la province du Manitoba (1870)
  • Colonisation et expansion vers l’ouest (1871) (lettre  d’un curé)
  • Scandale du Pacifique (1873) (Hugh Allan)
  • Le conseil privé et l’autonomie des provinces (1883-1896)
  • L’industrialisation et ses problèmes (1889) (témoignage d’une ouvrière)

De plus, mais je dirais surtout malheureusement, étant un enseignant précaire, je suis pris avec un cahier d’exercices qui a été sélectionné l’année dernière. Finalement, je donne aux élèves des notes de cours qui suivent la progression des apprentissages (MELS, 2011).

Lors de la quatrième phase, les élèves reviennent sur les questions ce qui me permet de déterminer la conscience historique subséquente et les opérations intellectuelles de la pensée historique mobilisées. Pendant l’activité, je ne réponds pas aux questions, mais je circule avec ma tablette et je prends en note ce que les élèves font et utilisent. Je pose aussi des questions comme « Que fais-tu ? », « Où es-tu rendu? », « Quelle est ta prochaine étape? » et « Pourquoi fais-tu cela? ». En posant la question à voix haute et suite à la réponse à voix haute de l’élève, il arrive souvent que d’autres élèves réorientent méthodes et stratégies. Malgré tout, je le fait surtout pour offrir de la rétroaction. Lors de la correction, j’identifie les manifestations de la pensée historique dans les textes ce qui me permet de donner une rétroaction à l’élève. Cette rétroaction porte autant sur la pensée historique que sur les connaissances. Les élèves ayant une note inférieure à 70% ont la possibilité de retravailler le texte, sans toutefois dépasser le 70% final.

La cinquième phase est pour surmonter une des limites de mon activité : le modèle de Duquette (2011) a été élaboré à partir d’entrevues en dyade. Hors, il y a un écart entre ce que les élèves verbalisent et ce qui ressorti à l’oral et à l’écrit. Pour m’arrimer à son modèle, je sélectionne quelques élèves (jamais les mêmes élèves d’une activité de conscience historique à l’autre). Je pose ensuite des questions entourant l’évolution de la Fédération canadienne. Ces rencontres me permettent d’offrir davantage de rétroactions aux élèves et par conséquent faire  cheminer, progresser et évoluer leur pensée historique et leur conscience historique. Je sélectionne aussi les élèves les plus faibles, ce qui me permet de réaliser ses rencontres aussi lors des récupérations.

À la toute fin, c’est moi qui présente mes explications, ce qui me permet de faire un retour en classe.

Pensée historique

Pour ce qui est de la pensée historique, j’ai déjà expliqué le lien avec la conscience historique lorsque j’ai décrit ma philosophie. J’aimerais toutefois dire que lors de l’activité en question, ce sont surtout les opérations intellectuelles de la perspective qui sont développées comme les causes, les conséquences, les continuités et les changements. L’empathie historique n’est pas développée, car je la réserve pour les activités d’émulations et de jeux de rôles réalisées à d’autres moments dans l’année. La portée historique (historical significance) n’est pas directement développée, car je réserve cette opération pour la fin de l’année, lors de la révision.

L’activité de conscience historique me permet d’évaluer l’ensemble des facettes de la pensée historique. Il faut, toutefois dire que ponctuellement, toujours en considérant la taxonomie de Duquette, je fais des ateliers à l’aide de sources primaires et secondaires avec comme point central une opération précise de la pensée historique. L’activité de conscience historique me permet l’intégration de ce qui a été réalisée en classe. Je peux dire qu’en début d’année, la verbalisation et l’articulation de la conscience historique à l’aide de la pensée historique est très difficile, mais qu’au moment où nous abordons la fédération canadienne, et ce, parce que la pensée historique de mes élèves s’est développée, ils sont très performants.

 

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