La conscience historique et les curriculums en histoire en Suède (Per Eliasson)
En Suède, dans les années 1980, ce n’était pas facile d’enseigner l’histoire. Tant à l’échelle nationale que locale, des politiciens liés au secteur de l’éducation faisaient pression pour que l’identité de l’histoire disparaisse. Dans le curriculum, elle s’était retrouvée sous le titre Activités humaines – perspective temporelle. À cette époque, l’idéal pédagogique se traduisait par un amalgame de sujets sous divers thèmes, par exemple l’eau ou l’amitié, et son argument principal était : « la réalité ne se présente pas par sujets ». Il était louable de chercher à utiliser des approches multidimensionnelles pour trouver des solutions aux nouveaux problèmes, tels que les enjeux environnementaux, mais les résultats étaient souvent minimes et généraient une plus grande fragmentation. Le problème provenait de l’utilisation d’hypothèses selon lesquelles certains sujets devaient faire partie du projet éducatif, et pour ce faire, certains thèmes contraignants furent inclus dans le processus. Frustrés par ces conditions, quelques enseignants ont tenté de revenir à un enseignement par sujets, mais à partir d’une autre perspective, l’utilisation de problématiques exigeant une mise en commun avec d’autres sujets. À ce moment-là, j’enseignais l’histoire dans une petite ville du sud de la Suède. Avec des enseignants de biologie, de chimie, de mathématique et de travaux manuels, je collaborais à un projet couvrant 400 ans d’histoire forestière d’un petit village. Mon intérêt pour l’histoire de l’environnement est né de cette expérience d’éducation et de recherche à perspectives multiples. Lorsque j’ai entrepris mes études doctorales, j’ai d’ailleurs choisi ce sujet pour ma recherche et ma thèse, soit les raisons pour lesquelles l’État s’était approprié l’administration des forêts dans les premières décennies du XIXe siècle. Les résultats partiels de cette étude furent publiés dans un article que j’ai corédigé avec Sven G. Nilsson, “‘You Should Hate Young Oaks and Young Noblemen’: The Environmental History of Oaks in Eighteenth- and Nineteenth-Century Sweden” (Environmental History 7 [2002]: 659-74).
Dans les années 1990, l’histoire est redevenue un sujet enseigné à l’école et le nouveau concept de conscience historique a fait son apparition. Il est d’ailleurs devenu le point central d’une collaboration naissante entre les professeurs d’histoire des pays nordiques sur ce qu’on appellerait dorénavant la didactique de l’histoire. Le concept de conscience historique a ouvert l’étendue des champs de recherche en histoire pour y inclure l’utilisation de l’histoire sous diverses formes et dans divers secteurs de la société. Lorsque le gouvernement a entrepris une réforme des curriculums de l’enseignement obligatoire (primaire et secondaire) et de l’enseignement secondaire supérieur (postsecondaire) en 2011, le concept de conscience historique devint le cœur et le principe de base de l’histoire.
Selon le philosophe de l’histoire allemande Jörn Rüsen, la compétence narrative est la compétence essentielle de la conscience historique et elle se divise en trois habiletés : l’expérience liée au contenu, l’interprétation liée à la forme et l’orientation historique liée à la fonction. Le curriculum a donc été divisé en trois habiletés : reconnaître que le passé constitue l’histoire, ce qui veut dire acquérir des connaissances sur le passé; interpréter ce qu’on sait du passé et comment on le sait; et réfléchir à l’utilisation de l’histoire pour s’orienter dans le présent et l’avenir. L’utilisation des concepts fournit aux élèves les habiletés requises pour y arriver. I was the coordinator in the 2011 reformation in compulsory and upper secondary school, with a certain responsibility to develop a line of progression between these two stages. This was a challenge. How can a progression of history over 12 years with the aim to develop students’ historical consciousness be developed? A key factor was using concepts in an increasingly advanced way. For example, concepts such as continuity and change or identity are first introduced in compulsory school, and then structure the teaching of history in upper secondary school. But working with concepts is new to many teachers, and especially challenging is working with the use of history in one’s own life or in society. However, the new national tests, compulsory and optional at different stages, facilitate the implementation by concretizing the new approaches. But they also pose new problems on how to assess progression in history. For example, how can students’ competences in interpretation and sourcing in relation to contextual knowledge be assessed? And what is progression in reflecting on the uses of history? In New Directions in Assessing Historical Thinking, edited by Kadriye Ercikan and Peter Seixas (Routledge, 2015), I and my research fellows present the national test in history and some questions from our research on assessment and progression.
J’étais le coordonnateur de la réforme de 2011 et, à ce titre, j’ai collaboré au développement d’une ligne de progression entre ces deux étapes. Ce fut tout un défi. En effet, comment concevoir une progression de l’histoire sur 12 années dans le but de développer la conscience historique des élèves? Un des facteurs clés fut l’exploration progressive des concepts. Par exemple, les concepts continuité et changement, et identité sont d’abord enseignés aux niveaux d’enseignement obligatoire. Par la suite, ils structurent l’enseignement de l’histoire au secondaire supérieur. Pour de nombreux enseignants, l’enseignement des concepts était tout nouveau. De plus, faire de l’histoire avec sa propre vie ou la société dans laquelle on vit est un grand défi. Cependant, les nouveaux examens nationaux, obligatoires et optionnels selon les niveaux, facilitent l’implantation en concrétisant les nouvelles approches, mais ils posent aussi de nouveaux problèmes sur la façon d’évaluer la progression en histoire. Par exemple, comment évaluer les habiletés d’interprétation et de recherche de sources en lien avec le savoir contextuel? Qu’est-ce qu’une progression lorsqu’on réfléchit aux utilisations de l’histoire? Dans New Directions in Assessing Historical Thinking, codirigé par Kadriye Ercikan et Peter Seixas (Routledge, 2015), je présente avec mes collègues chercheurs le test national en histoire et quelques questions issues de notre recherche sur l’évaluation et la progression.
En réfléchissant à la dernière décennie, je constate que, comme sujet d’étude en Suède, l’histoire n’a pas seulement été relancée, mais on lui a donné un nouveau souffle. Le concept de conscience historique et l’enseignement des usages de l’histoire a permis d’intégrer l’histoire dans la société à l’extérieur du cadre scolaire de façon à ce que l’histoire soit une partie vitale de notre culture historique. C’est peut-être encore difficile d’être un enseignant d’histoire, mais aujourd’hui, ce l’est pour de bonnes raisons!
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