Histoire quotidienne (Christopher Dummitt)
C’est un rituel printanier qui a débuté il y a plusieurs années lorsque mon université, toujours désireuse de voir ses chercheurs attirer l’attention des médias, a publié un communiqué de presse soulignant un article que j’avais écrit en 1998 et où il était question de l’histoire des hommes et du barbecue. Dans cet article, j’exploitais ce détail de notre vie quotidienne, soit le fait que ce sont le plus souvent les hommes qui utilisent le barbecue, et je posais des questions de base, mais sérieuses, sur l’évolution de cette pratique. Cette façon de traiter un sujet humoristique sous un angle historique fut un grand succès. Durant quelques semaines, j’ai été arraché au calme de la vie universitaire et forcé de m’occuper de ce qui me semblait alors une avalanche d’appels de stations de radio et de journaux. Depuis, chaque printemps, je peux m’attendre à une poignée de courriels et d’appels de journalistes qui espèrent que l’été est arrivé alors qu’il reste de la neige au sol et que le ciel n’a pas encore retenti du cri des premières bernaches revenant du Sud.
Bien que cette recherche soit terminée depuis plus de dix ans maintenant et que mes intérêts aient grandement évolué depuis, je la mentionne parce qu’elle traduit toujours ma façon d’aborder l’écriture et l’enseignement de l’histoire : commencer avec quelque chose que nous croyons savoir, remonter le temps, poser des questions ouvertes et nous préparer à être surpris.
C’est ce qui m’a inspiré le cours Everyday History que j’enseigne à la Trent University. Chaque semaine, nous choisissons un évènement de la vie quotidienne et nous examinons la complexité de son histoire. Il n’est pas rare qu’un cours commence par « Pourquoi est-ce que je ne peux pas acheter de la bière au petit magasin? » ou « Pourquoi y a-t-il du texte français sur ma boîte de céréales? ». Les réponses de l’histoire sont invariablement plus complexes que ne le pensaient d’abord les étudiants, nous amenant à voyager à travers les siècles, les valeurs culturelles, les frontières nationales, les institutions politiques et les pratiques sociales. L’objectif est de démontrer que nous naviguons généralement en surface de l’histoire. En effet, comme un navire voguant à la surface de cet océan, il y a en dessous de nous des vaisseaux naufragés et des espèces anciennes de poissons que nous avons oubliés, des idées et des pratiques autrefois répandues, aujourd’hui apparemment impensables.
Dans le livre auquel je me consacre actuellement, j’aborde de la même façon un personnage que nous pensons tous bien connaître, l’ancien premier ministre William Lyon Mackenzie King. À sa mort en 1950, de nombreux commentateurs se sont demandé comment il se faisait qu’il ait connu tant de succès et ce que cela révélait sur le Canada. Cela s’est poursuivi sur plusieurs décennies, jusqu’au cœur des années 1980, en grande partie en raison des révélations sur ses excentricités personnelles, incluant sa croyance au spiritisme, ses visites chez des prostituées et son affection bizarre et excessive pour sa mère. La plupart des études sur King portaient sur la façon dont l’un ou l’autre de ces détails personnels influençaient notre vision du personnage en tant que premier ministre. Quant à ma recherche, elle traite le sujet autrement. Au lieu de tenter de savoir si Mackenzie King couchait avec des prostituées (ou même s’il avait des relations sexuelles), je me demande pourquoi tant de commentateurs ont trouvé cette question si fascinante (ou hors de propos). Autrement dit, je tourne notre attention vers les commentateurs qui cherchaient à se souvenir de King et vers la période durant laquelle ils écrivaient, des années 1950 aux années 1980, afin d’examiner ce que notre fascination pour King révèle au sujet de l’évolution des valeurs culturelles et politiques au cours de ces décennies.
Dans le cadre d’un autre projet, en partie relié à ce livre, j’explore des questions touchant la façon dont les historiens écrivent l’histoire. J’ai entamé le sujet dans mon article « After Inclusiveness » paru dans la publication que j’ai codirigée avec Mike Dawson, Contesting Clio’s Craft: New Directions and Debates in Canadian History. En particulier, je souhaite voir par moi-même comment quelqu’un peut écrire une histoire récit qui traite tout de même des types de préoccupations analytiques de l’histoire culturelle. En d’autres mots, pouvons-nous appliquer le même genre de questionnement qui représente l’essence de l’histoire culturelle, tout en utilisant les mécanismes du romancier pour transmettre ces idées d’une façon plus habile? J’ai fait une première tentative dans un article publié à l’automne 2010 dans Labour/Le Travail et intitulé « Harry Ferns, Bernard Ostry and The Age of Mackenzie King: Liberal Orthodoxy and its Discontents in the 1950s ». Ce projet poursuit son cours et, à tout le moins pour moi, la question demeure sans réponse.
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