Enseigner l’histoire et faire de la recherche dans une société divisée (Alan McCully)
Au cours des dernières années, j’ai eu la chance de travailler avec une société de production cinématographique, Gaslight Productions, qui a produit Epilogues, une ressource pédagogique d’une grande efficacité. On y retrouve 28 entrevues avec des personnes qui ont été combattants ou victimes lors des Troubles en Irlande du Nord. L’atelier qui accompagne la vidéo débute en demandant aux participants de résumer l’impact du conflit nord-irlandais sur leur vie. Ces récits parlent fréquemment de tragédie et de courage. A l’inverse, comme participant de l’atelier, j’ai dû reconnaître que le conflit m’a d’abord permis de bâtir une carrière d’enseignant et de chercheur en histoire ce qui m’a donné l’occasion de visiter des endroits où je n’aurais jamais mis les pieds!
Pour mon collègue de recherche, Keith Barton, travailler en Irlande du Nord, c’est « enseigner l’histoire où c’est réellement important ». Les opinions sur le présent et le passé y sont si entrelacées que la pertinence de l’histoire est apparente et facilement justifiable. Bien sûr, enseigner l’histoire dans un tel contexte présente son lot de défis et de réactions. J’ai enseigné l’histoire, les sciences humaines et la citoyenneté au secondaire pendant vingt ans, et j’ai été pédagogue et chercheur pendant un autre vingt ans. Ces années professionnelles se superposent parfaitement sur les années du conflit et du long processus de paix qui a maintes fois été perturbé. Ce contexte a dominé ma vie professionnelle. Au début, comme enseignant et pédagogue, j’étais convaincu que la façon dont le passé était déformé et malmené avait contribué à la dégradation du tissu social des années 1960 et 1970. J’étais déterminé à offrir de nouvelles perspectives aux jeunes. Cependant, comme chercheur, j’ai récemment fait une prise de conscience, assez inconfortable, que les approches novatrices et « éclairées » n’entrainent pas nécessairement une transformation individuelle ou sociale lorsque confrontées à des positions fragmentées, sélectives et profondément enracinées à l’intérieur de communautés divisées.
La recherche sur l’enseignement du conflit nord-irlandais se concentre généralement sur les enjeux de structure, soit un système basé sur la ségrégation religieuse, et des tentatives d’y apporter des correctifs en favorisant les contacts entre les élèves des deux communautés. Mon passé d’enseignant m’a plutôt porté à mettre l’accent sur la pédagogie et la pratique, spécialement l’enseignement de sujets délicats et controversés par le traitement des enjeux associés à l’histoire irlandaise, à la culture et à la politique locale et contemporaine. Dans le contexte du programme-cadre nord-irlandais, ces deux aspects de mon travail (d’une part, l’enseignement de l’histoire et, d’autre part, l’enseignement des sciences humaines et de la citoyenneté) se sont faits en parallèle et en complémentarité. Cependant, j’ai senti de profondes distinctions disciplinaires entre les deux et, comme j’ai cherché à donner une finalité sociale « extrinsèque » à l’enseignement de l’histoire tout au long de ma carrière, j’ai récemment constaté que les pressions liées au financement commencent à truquer la relation disciplinaire au détriment d’une compréhension rigoureuse de l’histoire par les élèves.
Au cœur de ma réflexion sur l’enseignement de l’histoire dans les sociétés divisées se trouve la recherche que j’ai menée avec Keith Barton. Nous nous sommes penchés sur le lien entre les programmes d’histoire basés sur les enquêtes et l’histoire que les élèves retrouvent dans les médias, leurs familles et la communauté. Quelques résultats intéressants ont fait surface. Premièrement, il est évident que les récits partisans appris au sein des collectivités avaient une influence pour certains élèves, mais que plusieurs d’entre eux se montraient aussi intéressés par des aspects du passé qui n’avaient pas de liens directs avec les divisions nord-irlandaises. Deuxièmement, les élèves appréciaient l’histoire telle que présentée en classe à cause d’une perception liée à son objectivité. Cependant, il était peu probable qu’ils rejettent ce qu’ils avaient appris de façon informelle. Ils tenaient un discours que Bakhtin nomme « le discours persuasif interne » qui permet de donner un sens au passé controversé. Troisièmement, quelle que soit la nature de ce discours, il était peu probable que la position des élèves dépasse les grands courants unionistes/nationalistes auxquels s’identifient leurs familles. En fait, des éléments de preuve montrent que, malgré une exposition à des perspectives multiples dans les cours d’histoire, plus les élèves vieillissent, plus ils auraient tendance à choisir « ce qui fait leur affaire » dans ce qui est enseigné afin de confirmer leur position politique naissante au sein de leur collectivité.
Je suis convaincu que la recherche est particulièrement utile lorsqu’elle contribue directement à la pratique d’enseignement. En jumelant mon travail empirique en histoire avec les résultats de mes recherches en enseignement d’enjeux controversés, certains principes d’enseignement de l’histoire en Irlande du Nord ont émergé. En voici un résumé :
• Contester les positions campées et non fondées, briser les mythes et exposer les abus de l’histoire.
• Suivre une approche disciplinaire et, ce faisant, encourager la complexité, les interprétations et les débats éclairés.
• Exposer les élèves à la métaconnaissance, c’est-à-dire les aider à prendre conscience de la façon dont leurs antécédents, leurs allégeances et leurs émotions peuvent influencer leur interprétation du passé.
• Instaurer un « dialogue » constant entre les évènements du passé et le présent.
• Encourager l’exploration explicite des liens entre les identités nationales et l’histoire.
• Aider les élèves à comprendre le passé, récent et violent, ce qui inclut développer un regard empathique et critique envers les expériences personnelles vécues au cours de ces évènements.
• Offrir un contexte éclairé pour un dialogue contemporain.
• Formuler la place de l’histoire dans le programme-cadre ainsi que son lien avec l’enseignement à la citoyenneté.
Par ailleurs, si on veut que les élèves en retirent des avantages, il est essentiel que les enseignants puissent comprendre comment leurs expériences et leurs valeurs personnelles au sein d’une société divisée peuvent influencer la façon dont ils interprètent (et enseignent) le passé contesté.
Image: Les Troubles en Irlande du Nord.. Par {{{1}}} (Flickr: Gates in the ‘Peace Line’) [CC BY 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0)], via Wikimedia Commons
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