Des ondes aux archives (Gene Allen)
Lorsque je lis Les Aperçus de recherche publiés par THEN/HiER, je ne peux que constater que ma trajectoire professionnelle diffère passablement de celle des autres chercheurs présentés. Au lieu de passer de l’université à la communauté, comme plusieurs l’ont fait, j’ai plutôt emprunté le trajet inverse. De journaliste associé étroitement à la production d’une série documentaire télévisuelle sur l’histoire du Canada, conçue pour plaire au plus grand nombre possible (Le Canada : une histoire populaire), je me suis plongé dans le type de recherche archivistique, minutieuse et spécialisée qui constitue le fonds de commerce des historiens.
En 2001, à 48 ans, j’ai quitté la CBC pour devenir professeur de journalisme à la Ryerson University à Toronto. J’étais alors particulièrement attiré par la perspective d’utiliser les compétences archivistiques que j’avais acquises aux cycles supérieurs, il y avait de cela une vingtaine d’années. Je voulais mener une recherche originale sur l’histoire du journalisme et des communications, en particulier au Canada, un domaine que je considérais, et considère encore, comme terriblement sous-développé. Est-il possible que nous n’ayons produit aucun récit de portée scientifique sur quelqu’un comme John Ross Robertson dont le Telegram de Toronto était une telle force culturelle et politique dans l’Ontario urbaine et orangiste de la première moitié du XXe siècle? Aucune histoire de La Presse canadienne, une agence de presse si importante et pourtant presque inconnue? (C’est d’ailleurs le premier projet d’importance que j’ai mené. Making National News: A History of Canadian Press vient d’être publié par la University of Toronto Press.) Plutôt que d’aborder les principaux thèmes du passé canadien dans des récits parlant de personnages représentatifs -- un défi créatif et historique et essentiellement un travail de synthèse et de structure dramatique -- j’ai pu me consacrer à des questions qui, selon moi, requéraient une recherche systématique et approfondie afin d’en tirer des réponses originales. La seule limite que j’ai imposée à ma curiosité fut que ma production soit à la hauteur des normes de la communauté scientifique avec laquelle j’avais choisi de m’aligner.
Ceci étant dit, je ne pense pas que mes travaux scientifiques, et leurs copieuses notes de bas de page, ne représente un intérêt que pour d’autres chercheurs. Mon livre sur La Presse canadienne a déjà suscité beaucoup d’attention de la part de journalistes canadiens qui sont tout aussi intéressés à connaître l’histoire de leur métier ou de leur profession et celle de leurs institutions que le sont les historiens des médias et des communications. Je nourris même l’espoir, peut-être irréaliste, que les citoyens qui ne sont ni journalistes ni professeurs et qui veulent comprendre comment est façonné le monde qui leur est présenté chaque jour dans les médias seront intéressés par le livre, c'est-à-dire un public non spécialisé même s’il est largement moins nombreux que les millions de téléspectateurs qui ont suivi Le Canada : une histoire populaire. Est-ce avoir trop d’attentes que de penser qu’une recherche archivistique originale, présentée avec ses nombreuses notes de bas de page et autres mécanismes scientifiques, puisse attirer un grand public en nombre raisonnable? C’est à suivre…
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