Créer des occasions de discussion à partir de textes historiques (Abby Reisman)
Qu’est-ce que ça prend pour transformer un cours d’histoire en un lieu où il est possible d’explorer le passé et d’en discuter?
Depuis une dizaine d’années, je travaille avec des collègues du Stanford History Education Group à la conception d’outils pédagogiques et curriculaires qui traduisent les grandes théories sur l’enseignement basé sur les enquêtes en pratiques concrètes applicables en classe. La plupart de ces outils sont dorénavant inclus dans le programme Reading Like a Historian, une série de leçons basées sur des documents et qui posent des questions historiques bien fondées.
Les leçons de ce programme partagent certaines caractéristiques qui permettent d’ouvrir l’histoire à l’interprétation. Elles présentent des sources historiques qui ont été modifiées pour les jeunes lecteurs ainsi que de nombreuses occasions permettant aux élèves de parfaire les habiletés requises en lecture historique : la recherche de sources, la mise en contexte, la lecture attentive et la corroboration. Chaque leçon est conçue autour d’un thème historique qui guide les élèves vers la source documentaire. Les résultats d’une étude phénoménologique de six mois dans les écoles secondaires de San Francisco ont montré que les classes qui utilisent le programme Reading Like a Historian ont mieux réussi que les autres en compréhension de texte, en pensée historique, en mémorisation factuelle et en raisonnement.
Les leçons basées sur les documents fournissent aussi une séquence prévisible d’activités. Les élèves commencent par examiner l’information contextuelle portant sur le sujet puis passent la majeure partie du cours à lire et interpréter des documents. Les leçons ont été conçues pour se terminer par une discussion de groupe au cours de laquelle les élèves proposent des réponses à la question historique principale et résolvent les contradictions qui en résultent.
Pourtant, lors de mon analyse des cours enregistrés sur vidéo, j’ai été frappée par la quasi-absence de discussions en grand groupe, et ce, malgré les instructions explicites fournies dans le matériel pédagogique. Dans un article publié récemment, « Entering the Historical Problem Space: Whole-class Text-based Discussion in History Class » Teachers College Record 117, no. 2 [2015]: 1-44), je traite de la difficulté pour les enseignants de mener une discussion sur le passé à partir d’un texte. J’y définis des approches qui pourraient aider les élèves à bâtir un argumentaire à partir de documents textuels. J’ai découvert que, pour favoriser des discussions productives, l’enseignant doit poser des questions spécifiques sur le texte, reformuler les commentaires des élèves pour démontrer la structure de l’argument et corroborer le contenu historique afin d’ancrer la discussion dans des affirmations exactes sur le passé.
Au cours de la dernière année, j’ai mené une étude sur la meilleure façon de montrer aux enseignants comment mener une discussion de groupe sur un texte historique. J’ai travaillé avec quatre enseignants du secondaire tout au long de l’année scolaire, observant leur enseignement et formulant des commentaires ciblés sur la façon de mener une discussion. Bien que je sois aux premières étapes d’analyse de données, deux thèmes importants semblent émerger : en premier lieu, il est presque impossible de faire des commentaires significatifs sur la façon de mener une discussion sans porter attention aux sources et à l’objectif historique visé par leur utilisation; en second lieu, les enseignants qui pensent que la discussion émergera spontanément des élèves, alors qu’ils sont peut-être eux-mêmes en train de faire des liens sur le sujet à l’étude, sont moins à même de percevoir leur propre contribution à titre de facilitateurs de discussion. En d’autres mots, il semble qu’offrir du soutien aux enseignants pour les aider à mener une discussion sur un texte historique ne soit pas aussi simple que de partager une liste d’actions discursives ou de fournir du matériel pédagogique qui propose une démarche vers une interprétation historique. Il semble que les enseignants doivent aussi se percevoir comme des créateurs d’occasions pour engendrer la discussion et l’interaction étudiante.
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