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Concours du blogue: Disneyland ou dystopie ?

Posted by Vincent Boutonnet
8 May 2013 - 10:46am

 

La question vous semble probablement inattendue, inutile et peut-être même impertinente. Loin de vouloir m’attaquer aux contes rêveurs de Walt Disney qui finissent toujours par « et ils vécurent heureux », d’autres récits, tout aussi rêveurs (mais agités), nous invitent à réfléchir sur l’évolution de nos sociétés démocratiques occidentales. Je pense, entre autres, à 1984 (George Orwell), Farenheit 451 (Ray Bradbury), Le meilleur des mondes (Aldous Huxley), Ubik (Philip K. Dick), Nous autres (Yegeny Zamyatin) et plus récemment Hunger Games (Suzanne Collins).

En effet, tous ces livres ont pour point commun un récit d’anticipation de nos sociétés futures, mais pas si lointaines, décrites comme injustes et inégalitaires habillées de parures justes et égalitaires. Les héros ou héroïnes de ces romans en prennent conscience ou révèlent par leurs actions les faux-semblants de ces sociétés indûment utopiques. Il est d’ailleurs intéressant de noter que certains de ces livres ont été publiés à la veille de la montée de certaines sociétés totalitaires (par exemple 1920 pour Nous autres ou 1953 pour Farenheit 451) ou dénonçant les travers capitalistes (Ubik).

Alors pourquoi poser cette question en ce qui concerne l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de l’éducation à la citoyenneté : récit disneylandique ou dystopique ? Permettez-moi de préciser ma pensée. Ayant lu les livres, ou vu les adaptations cinématographiques, j’ai toujours imaginé pouvoir utiliser ce genre de ressources pour discuter des inégalités sociales, du fonctionnement de sociétés totalitaires, de la défense des libertés individuelles, du choix de l’individu, du rôle de l’État, etc. En fait, c’est aussi vouloir analyser nos récits traditionnels téléologiques qui nous conduisent vers une société toujours meilleure. Vous comprendrez alors que les possibilités sont nombreuses. Ceci dit, l’intégration dans un cours d’histoire n’est pas aussi évidente. Quel roman choisir ? Quels extraits ? Quelle réalité historique à comparer ? Quelle analyse à soumettre aux élèves ? Les questions sont pertinentes et devraient être posées par n’importe qui soucieux de réaliser une activité enrichissante pour les élèves.

J’ai participé à la dernière conférence de l’AERA 2013, à San Francisco, et j’ai entendu une présentation inattendue et pourtant combien intéressante. Celle-ci a su réanimer mon intérêt pour ces ressources dystopiques. Sandra Schmidt (Teachers College, Columbia University) a proposé une analyse de l’injustice spatiale décrite dans le roman Hunger Games. Cette société est divisée en districts indépendants les uns des autres, mais se rapportant tous à la Capitale. Plus le district est éloigné et moins il est important et riche. La séparation de ces districts peut conduire les élèves à discuter des inégalités spatiales comme par exemple l’opposition Nord-Sud, pays développés versus pays du tiers-monde, etc. Ceci est seulement un des aspects proposés par cette présentation, mais il serait trop long d’en discuter davantage.

Margaret Atwood a écrit dans Le tueur aveugle : « [On regarde] les informations à la télévision […] pour scruter le monde comme à travers une fenêtre secrète et puis, une fois qu’on a fait le plein, on se détourne » (2002, Éditions 10/18, p.599-600). Ces romans et adaptations cinématographiques peuvent nous sembler sensationnels, créatifs, nous permettant de faire le plein de distractions, mais leur critique sociale en filigrane nous échappe si nous y prêtons pas attention. Ce sont des récits fictifs, mais leurs discours peuvent nous permettre, il me semble, de réfléchir sur l’injustice sociale et ceci ne peut être que bénéfique pour développer une conscience citoyenne alerte et critique.