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Concours du blogue: Comment protéger l’histoire du politique?

Posted by frédéric yelle
29 May 2013 - 1:48pm

 

Au Québec, le débat sur le programme d’enseignement de l’histoire revient régulièrement dans l’actualité. Lorsque ce n’est pas le gouvernement provincial en place qui promet de faire plus de place à l’histoire politique, ce sont les groupes d’historiens nationalistes qui sortent pour invectiver un programme d’histoire qu’ils qualifient d’incohérent, d’anachronique et de fédéraliste tout en réclamant une nouvelle réforme au plus vite. Le gouvernement fédéral s’invite aussi dans les discussions sur l’histoire lorsqu’il met de l’avant, par exemple, une vision plus unificatrice, militaire, confédérative et conservatrice de ce que devrait être notre histoire (pensons aux « célébrations » entourant le 200e de la guerre de 1812).

Si l’histoire a bien un rôle quant à la cohésion et au maintien d’un certain tissu social, il ne faut pas la limiter à cette dimension narrative. L’histoire est une science reconnue pour sa méthode de « recherche de la vérité » très rigoureuse. Actuellement, parce qu’on adopte une attitude transmissive de l’histoire, on la dénature et on la transforme en outil d’endoctrinement. On la conçoit davantage comme un véhicule de contenus qu’une science. Si certains n’y voient aucun problème, ils devraient se référer aux derniers évènements qui ont fait la une. Qu’il s’agisse de l’offensive conservatrice ou de celle péquiste en matière d’enseignement de l’histoire, on voit bien les dangers qu’il y a à se limiter à promouvoir une narration, sélectionnée au gré des gouvernements élus à coup de 32%...

Alors, comment protéger l’histoire du politique[1]? Si on veut permettre aux citoyens d’aujourd’hui et de demain de se prémunir contre la propagande, il faut leur donner les outils intellectuels nécessaires. En histoire, ces outils sont de l’ordre de la méthode. Tenter d’enseigner l’histoire comme certains le font, en narrant un récit compartimenté, sans jamais (ou presque) prendre le temps d’enseigner le processus de construction de ce récit, c’est imposer « de force » une conception de l’histoire sans donner aux apprenants les savoirs-faires qui leurs permettraient de remettre en question ce qu’ils lisent et entendent. Il faut sortir de cette conception bancaire en histoire, les élèves ne sont pas des récipients videsqu’il faut remplir.[2] Cette approche bancaire de l’histoire ne développe pas le sens critique, ni la capacité de questionner et de se positionner face à un enjeu social ou une réalité quelconque.

Beaucoup sont sceptiques face au programme de formation de l’école québécoise en univers social (géographie et histoire). Les compétences sont mal vues, peu enseignées et elles apparaissent comme une perte de temps. Cesdites compétences sont, en fait, une transposition didactique[3] de la méthode historique dite « universitaire » vers une méthode historique adaptée aux élèves de 12 à 17 ans. Cela signifie-t-il qu’il ne faille plus rien apprendre en histoire? Qu’aucune connaissance ne soit nécessaire? Non. Il est impossible pour des apprenants (peu importe leur niveau) d’interpréter, de faire des liens ou de se construire une compréhension de l’histoire et des concepts qui s’y rattachent sans connaissances sur le sujet historique étudié. Ce que cela signifie, c’est qu’il faille construire activement, avec les élèves, une trame de fond narrative de l’histoire (qui respecte le programme) en mobilisant leurs connaissances antérieures et en développant certains aspects de la méthode historique (mis de l’avant dans le programme) afin d’éveiller chez eux un sens critique.

C’est de cette façon que nous protégerons la relève citoyenne de la propagande et de la désinformation politique et médiatique. C’est-à-dire par le développement d’outils intellectuels qui leur permettront eux-mêmes de décoder les produits de l’histoire auxquels ils seront confrontés toute leur vie, mais aussi en éveillant leur sens critique face à ce qu’ils lisent et entendent. Irréaliste me direz-vous? Ce n’est pas ce que la recherche en éducation tend progressivement à démontrer.


[1] Il faut voir ici le terme politique au sens large et ne pas le limiter à la dimension partisanne.

[2] Lire Paulo Freire, pédagogie des opprimés, au sujet de la conception bancaire de l’éducation.

[3] Processus de transformation du savoir savant au savoir enseigné – c.f. Y. Chevallard

  (Vulgarisons : une transformation dans le but d’adapter aux apprenants concernés des notions de haut niveau)

 

Commentaires

La trame politique

Tant qu'il y aura comme trame de l'histoire québécoise la politique, nous ne pourrons pas protéger l'histoire du politique. Tant que la trame est politique, elle sert au gouvernement en place. Quand j'ai entendu parler la première fois du programme de quatrième secondaire, je me disais que pour une fois, on avait réussi à sortir l'histoire du politique pour laisser place à une histoire thématique. Quand j'ai enseigner ce programme pour la première fois, je me suis rendu compte que l'histoire n'était pas vraiment abordée de façon thématique. Elle est toujours enseignée dans l'ordre chronologique politique; les quatre thèmes un après l'autre en passant des premiers occupants à la période contemporain. L'examen ministériel ayant la même forme, d'ailleurs. Les évènements prescrits par le programme sont politiques, tout comme la grande majorité des personnages de notre histoire. Il faudrait savoir enseigner l'histoire politique du Québec, sans pour autant faire de l'histoire du Québec une histoire politique. Merci pour ta réflexion Frédérique, je suis certaine que beaucoup de jeunes enseignants se préoccupent de cette question aussi!

la trame politique

La place que prend l'histoire politique est certes démesurée si on la compare à l'histoire sociale, par exemple, et ce, même dans le programme de secondaire 4, comme tu le mentionnes. Je suis d'accord avec toi, merci pour ton commentaire.

L'évaluation de l'histoire, une finalité politique

 

Pour obtenir son diplôme d’étude secondaire, il est obligatoire d’avoir réussi son cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté de quatrième secondaire. Ainsi, c’est le MELS qui prescrit ce qui sera dans l’évaluation terminale.

 

Que voulons-nous évaluer? Des connaissances? Des habilités? Des stratégies? Des savoir-être? La pensée historique est de l’ordre des habilités, des stratégies et du savoir-être. Malheureusement, en évaluation se sont des éléments qui sont difficilement évaluables. Il est beaucoup plus facile d’évaluer des connaissances parce qu’ils sont faciles à observer.

 

Les connaissances sont rattachées à des événements historiques. Par contre, ce qui est important d’une société à l’autre (présente ou passé) est relatif. L’évaluation en mathématique, en français et en science n’a pas d’impact politique. Par contre, en histoire, il est possible de faire passer un message ou d’orienter la mémoire collective d’un peuple à travers une construction narrative.

 

Pour cette raison, l’évaluation en histoire est une finalité politique.

 

À l’école où j’enseigne, il y a ceux qui n’aiment pas le programme, parce qu’il ignore certains aspects de notre histoire. D’autres ne l’aiment pas parce que pour eux les opérations intellectuelles ne peuvent être réalisées par les élèves du secondaire. D’autres aimeraient qu’il soit plus nationaliste. Certains veulent faire de la connaissance historique. D’autres n’aiment pas les répétitions entre le troisième et quatrième secondaire. D’autres disent que les évaluations sont beaucoup trop difficiles. Je pourrais continuer encore longtemps, car les critiques sont nombreuses.

 

Pour ma part, je n’ai pas de problème avec le programme de formation, les opérations intellectuelles et la progression des apprentissages. Je suis ni fédéraliste ni souverainiste. Je suis à la fois un historien et un didacticien. Je veux que les élèves du secondaire puissent réfléchir par eux-mêmes et construisent leur propre narration de l’histoire du Québec, et ce, avec l’aide de la méthode et de la perspective historique. Malheureusement, et c’est ma critique, je suis pris avec une évaluation en quatrième secondaire qui met l’accent sur les connaissances. Je dirais même plus une évaluation qui n’est pas fidèle aux principaux énoncés du programme de formation.

 

Il est important de développer une conscience historique, même si à travers l’évaluation, il est difficile de l’observer. L’histoire n’est pas une discipline de la vérité, elle en est une de l’interprétation. C’est peut-être la caractéristique la plus importante qu’il faudrait développer à l’intérieur de l’histoire.

 

l'évaluation, une doctrine?

 

« Je veux que les élèves du secondaire puissent réfléchir par eux-mêmes et construisent leur propre narration de l’histoire du Québec, et ce, avec l’aide de la méthode et de la perspective historique »

 

À mon avis, c’est tout à fait louable comme objectif et je comprends vos préoccupations par rapport à l’évaluation ministérielle de quatrième secondaire. On dirait parfois qu’il existe une « doctrine » de l’examen final sommatif. Comme si l’apprentissage ne pouvait être évalué et confirmé que de cette manière. Pourtant, il semble évident qu’il ne s’agisse pas toujours de la manière la plus appropriée de rendre compte de certains types d’apprentissage (habileté, savoir-être, etc.).

 

Merci.

Merci Frédéric pour cet

Merci Frédéric pour cet article. Difficile de garder son calme avec tous ces débats au niveau politique. Je doute que la manière dont cela est présenté par les médias aide vraiment les gens à comprendre la portée du débat et ce qu'il implique. Merci d'avoir partagé tes réflexions.

les médias!

 

Les médias sont malheureusement trop souvent des outils « politiques ». Sans une population éduquée à faire preuve de sens critique et de prudence face aux différentes sources d'informations qu'elle consulte quotidiennement, cet outil peut être dangereux. L'histoire nous l'a déjà démontré, d'où l'importance de ce débat autour de l'histoire et de son enseignement, non?