Compte-rendu d’un manuel de didactique : une lecture pour faire aimer et apprendre l’histoire et la géographie au primaire et au secondaire
17 December 2014 - 4:36pm
Comment faire aimer et apprendre l’histoire et la géographie aux élèves du primaire et du secondaire? Comment faire de ces disciplines des matières à penser à se questionner? Comment familiariser les enfants avec les résultats de recherches menées dans ces disciplines et cultiver chez eux les façons de penser et de comprendre des savants qui conduisent ces recherches? À quels savoirs devons-nous tenter de faire accéder ces élèves et dans quel but? Comment leur enseigner à chercher, établir et utiliser – ou réfuter – des preuves historiques ou géographiques pour formuler ou évaluer des arguments politiques et en débattre avec discipline, honnêteté, rigueur et tolérance? Comment étayer leur travail pour qu’ils se bâtissent une pensée critique et autonome et acquièrent de façon durable et opérante des contenus? Devons-nous (et comment pouvons-nous) les engager dans les débats historiques, sociaux, philosophiques et politiques fondamentaux? (Éthier, Lefrançois et Demers, 2014, p. 1)
Ces questions se trouvent parmi la longue liste de celles qui sont posées d’emblée au tout début du manuel Faire aimer et apprendre la géographie au primaire et au secondaire. Ensemble ou séparément, elles constituent le point de départ de plusieurs dizaines d’années de recherche sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Elles invitent le lecteur à la réflexion et elles tracent les objectifs qui sous-tendent tout le contenu du manuel. Sans être à proprement parler polémiques, ces questions se situent parfois au cœur de débats publics sur l’enseignement des disciplines historiques et géographiques. Parfois, le fait même de poser ces questions fait débat alors que parfois ce sont les réponses qui s’opposent. Les auteurs de ce collectif considèrent que l’apprentissage n’est pas spontané lors de l’observation et de l’écoute, et donc que la transmission d’un savoir construit ne suffit pas. Ils proposent chacun à leur façon que les techniques disciplinaires de l’histoire et de la géographie peuvent être enseignées de façon explicite. En s’appuyant, souvent explicitement, sur l’épistémologie des disciplines concernées, beaucoup détaillent des situations d’apprentissage, des séquences, des activités ou des tâches compatibles avec la réalité pratique du terrain. Les pistes de réponses offertes par le manuel sont voulues pour être à la fois théoriques et pratiques ainsi qu’éprouvées par la recherche empirique pour faciliter un enseignement-apprentissage ambitieux de l’histoire et de la géographie.
Quatre grandes parties structurent l’organisation des chapitres. La première partie, L’histoire et la géographie, deux disciplines de référence en sciences sociales, offre au lecteur un survol de ce qu’est l’histoire et de ce qu’est la géographie. Micheline Dumont présente la nature, l’objet et le sujet de l’histoire alors que Bernadette Mérenne-Schoumaker et Sylvain Genevois se penchent respectivement sur la cartographie, le raisonnement géographique et les visées de l’utilisation des cartes en classe. Dumont insiste sur le fait que la perspective fondamentale de l’histoire comme discipline scientifique est celle de la position critique, malgré le fait que la conception de l’histoire est différente d’une époque à l’autre et que ses façons de faire sont sans cesse réévaluées. Si le contenu et la signification de l’histoire est un enjeu politique qui fait constamment débat, il en reste que la posture critique de l’historien permet de développer une compréhension et une connaissance historique, mais aussi de les confronter aux usages qui en sont faits. En ce qui concerne la géographie, les deux auteurs placent la carte comme outil privilégié du géographe. Mérenne-Schoumaker présente la carte comme un mode de communication puissant qui permet de développer le raisonnement spatial et de penser l’espace. La carte permet de localiser, de mettre en relation des faits, de comprendre des structures, de déceler des rapports logiques et des inégalités et de ce fait, de développer un raisonnement géographique. Tant la lecture de cartes que leur construction sont essentielles pour assurer le développement de ce raisonnement. Genevois insiste plutôt sur l’enjeu citoyen entrainé par le développement de l’accès aux cartes et à la cartographie par le numérique. Il voit la carte comme un outil de participation, de controverse et de débat pour le citoyen. Ce faisant, il propose de développer un usage réflexif de la carte, envisagée alors comme un outil d’investigation pour lequel le numérique ouvre à de nouvelles possibilités. Cet usage réflexif découle d’apprentissages cartographiques progressifs faits au contact et à l’aide d’outils géonumériques. Bien qu’elle soit exprimée différemment par chacun des trois auteurs, la position critique agit comme un point convergent de la nature de l’histoire et de la géographie à développer en classe. Alors qu’en histoire, elle pousse à l’utilisation d’une méthode rigoureuse, à l’analyse de sources, à la confrontation des subjectivités, en géographie, elle pousse à l’investigation euristique d’un outil servant à penser l’espace. Dans les deux cas, il s’agit de réfléchir à la notion de vérité et de penser les sources, les récits et les cartes comme des construits.
Dans la deuxième partie, Le domaine de l’univers social : programme, enseignement et évaluation, Jean-François Cardin et Julia Poyet font respectivement un tour d’horizon des programmes, de leur évolution et de leurs objectifs et contenus ainsi que l’explication de la compétence à développer au primaire et la planification qu’elle demande. Dominique Laperle présente une activité pour le secondaire qui est reliée au développement des trois compétences disciplinaires, au contenu de l’histoire nationale à travers la conceptualisation du nationalisme canadien-français et à l’utilisation (guidée ou autonome) de la méthode historique par les élèves, ce qui exemplifie les exigences du programme par un récit de pratique. Natasha Dubois et Sophie Loubert proposent une activité qui sert à développer la première compétence disciplinaire et qui répond elle aussi à la pratique critique de l’histoire par le développement du questionnement chez les élèves en utilisant la curiosité naturelle engendrée par un déséquilibre cognitif et en la formalisant sous forme de questions pertinentes. Finalement, les deux derniers chapitres s’intéressent à l’évaluation. Mathieu Bouhon allie son expérience d’enseignement en Belgique à une description de l’évaluation des compétences en contexte québécois. Par son récit de pratique, il clarifie plusieurs éléments fondamentaux de l’évaluation des compétences, dont les familles de situations, les critères, les indicateurs et surtout il associe chacun de ces concepts à l’évaluation en univers social. Enfin, Jean-Philippe Warren périodise l’évolution des examens ministériels d’histoire de quatrième secondaire afin d’en retracer les influences et les objets d’études au centre de ces examens. Il en ressort trois périodes : la domination d’une histoire nationaliste (1970-1990), la montée de l’histoire sociale (1991-2008) et l’émergence d’une nouvelle approche (2009-2012). Warren montre l’évolution des examens ministériels comme marquée de ruptures. Cardin montre plutôt la continuité dans l’évolution des programmes. Il faut noter que leurs conclusions reposent sur des analyses très différentes, car Warren part des contenus des examens et les relie à certains aspects idéologiques, didactiques et pédagogiques des programmes alors que Cardin part des aspects idéologiques, didactiques et pédagogiques et des visées des programmes sans nécessairement aborder les contenus prescrits en profondeur. La lecture de cette partie est particulièrement pertinente parce qu’elle permet d’entamer la réflexion sur le passage de l’histoire savante à l’histoire scolaire, par la présentation du discours institutionnel (programmes et examens) et des récits de pratiques de la mise en application d’aspects précis du programme.
La troisième partie, Les techniques des disciplines des sciences sociales, se penche plus précisément sur les différentes étapes de mise en application, les avantages pour l’apprentissage et les difficultés encourues de l’application de la méthode historique à différents types de sources : écrites, orales, iconographiques. Un lecteur qui cherche de l’inspiration pour planifier des activités en classe d’histoire trouvera cette partie intéressante. Les auteurs ont le souci d’expliciter les techniques pour aborder les différents types de sources en tenant compte des contraintes du terrain tout en proposant des tâches ou des séquences motivantes tant pour les enseignants que pour les élèves. Généralement, toutes les techniques placent les sources comme support de l’apprentissage avant le récit historique et elles s’inscrivent dans une logique de raisonnement qui reprend l’idée de la posture critique de doute et de questionnement mentionnée dans la première partie. Que ce soit en lisant des corpus intertextuels (manuels scolaires, romans jeunesses, albums illustrés, documentaires, bandes dessinées) comme proposés par Virginie Martel et Isabelle Laferrière, en examinant des documents iconographiques (peintures, fresques, caricatures, affiches, photographies) comme présentés par Marie-Claude Larouche ou Dominique Laperle, en analysant des entrevues avec des témoins directs ou indirects d’évènements du passé tel qu’explicité par Nadine Fink ou en mélangeant les types de sources travaillées comme le fait Étienne Dubois-Roy, il existe un grand nombre de possibilités pour faire de l’histoire tout en développant des techniques spécifiques à l’utilisation de la méthode historique et à l’exercice de la pensée historienne. Bien que les difficultés encourues par les élèves soient non négligeables, les effets sur l’apprentissage le sont également et les auteurs insistent sur sa qualité. Parmi les difficultés se retrouvent l’étendue des difficultés en lecture tant au primaire qu’au secondaire, l’utilisation de l’émotion comme porte d’entrée à l’histoire bloquant une compréhension approfondie, la difficulté de relativiser la notion de vérité historique, même avec le travail des sources et la difficulté de conceptualisation, surtout au primaire pour aborder des concepts abstraits. Par contre, les techniques pour aborder les sources permettent réellement aux élèves de prendre conscience et de percer la complexité de la reconstruction du passé par l’histoire d’une façon qui est moins superficielle que par l’unique transmission d’un savoir construit.
La quatrième partie, Les ressources du milieu, s’intéresse à la problématisation de ressources qui proviennent de la géographie ou de l’histoire publique : les musées, les parcs, les films et documentaires, les jeux vidéo, les jeux de rôle et la simulation. Pour toutes ces ressources, c’est encore une fois leur côté construit qui est mis de l’avant : beaucoup d’auteurs affirment qu’il est important de faire comprendre aux élèves que les ressources du milieu sont des constructions de leur temps. Parfois, c’est l’expérience même qui permettra d’atteindre ce résultat, comme dans le jeu de rôle ou la simulation); souvent, il faudra à l’enseignant modeler et demander aux élèves de critiquer la ressource afin de la contextualiser. Encore une fois dans cette partie, les auteurs expliquent le déroulement complet d’une planification afin d’offrir un regard global sur la possibilité de réaliser ces activités en classe ou en dehors de la classe. Sabrina Moisan présente la visite au musée comme une réflexion sur l’histoire publique qui peut légitimer l’histoire scolaire en aidant au transfert à l’extérieur de la classe des compétences dont les techniques sont montrées en classe. Geneviève Goulet ajoute que les musées aident les élèves à se questionner à propos de l’histoire et que l’observation d’artéfacts aide à la motivation. Vincent Boutonnet s’intéresse à l’intégration du film, du documentaire et de la chanson en classe. Isabelle Laferrière et Virginie Martel suggèrent une activité pour le primaire qui inclut l’utilisation de ces médias. Vincent Boutonnet, Alexandre Joly-Lavoie et Frédéric Yelle se penchent sur l’intégration des jeux vidéos en classe d’histoire. Lionel Kauffmann et Alexandre Lanoie explorent les diverses possibilités du web 2.0, comme l’écriture d’un blogue ou la création d’une encyclopédie, ouvrant la réflexion sur la création des savoirs encyclopédiques, sujet repris par Jean-François Lévesque. Gaétan Jean explique et fournit les documents nécessaires à l’animation de son jeu de rôle impliquant les élèves dans un procès intenté contre Maurice Duplessis. Sylvain Larose propose son encan des migrants pour aborder avec les élèves la difficile question de l’entrée des immigrants au Québec et du système de cotation auquel ils doivent faire face. Enfin, Catherine Duquette et Paul Zanazanian s’intéressent à la différenciation pédagogique en sciences sociales, appliquée aux contenus, aux processus méthodologiques, aux produits attendus ou à l’environnement d’apprentissage. L’intérêt de cette dernière partie, surtout combinée avec les précédentes, est qu’elle permet d’entrevoir la possibilité pour chaque enseignant de différencier sa pratique ainsi de viser des apprentissages réels et durables. Surtout, cette partie lui permet de penser à une planification annuelle variée, mais réalisable parce qu’elle repose sur le développement d’une posture critique en histoire et en géographie dont les fondements, la méthode et les techniques peuvent être modelées et étayées progressivement dès le primaire afin d’exercer une pensée historienne et un raisonnement géographique de plus en plus affirmés et autonomes.
Ce livre se place au centre de mes intérêts personnels et professionnels. Par contre, même un lecteur qui n’a pas ces intérêts peut affirmer que ce manuel est loin de « pelleter des nuages » et qu’il constitue un réel effort de proposer concrètement un enseignement ambitieux de l’histoire et de la géographie. D’ailleurs, les récits de pratique détaillent des activités qui me donnent envie de les reproduire dans ma propre classe. Surtout, les questions abordées au tout début et reprises implicitement par les différents chapitres me donnent envie de poursuivre la réflexion.
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