Comment l’identité sociale des jeunes influence leur compréhension de l’histoire nationale (Terrie Epstein)
Je me suis toujours intéressée à l’égalité en matière d’éducation et à la façon dont cet enjeu trouve sa place dans l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire. Dans les années 1980, j’ai présidé le comité sur l’enseignement de l’Organization of American Historians (OAH). À cette époque, les États-Unis vivaient une de ses nombreuses « guerres de l’histoire » et l’OAH voulait intervenir dans cette controverse. La présidente de l’OAH, Mary Berry, une historienne afro-américaine spécialisée en histoire afro-américaine, a fait lors d’une réunion un petit commentaire qui a lancé ma recherche pour les deux décennies suivantes. « Les jeunes à peau noire ou brune, a-t-elle affirmé, ne croient pas leur manuel scolaire ».
Les commentaires de la professeure Berry ont été le point de départ de mon projet d’évaluation de la façon dont l’identité raciale des jeunes influence leur compréhension de l’histoire nationale. Avec l’aide d’une doctorante qui a eu l’idée d’utiliser des photographies de participants et d’évènements historiques pour nous éclairer sur la façon dont les jeunes appréhendaient l’histoire nationale, j’ai mené une étude ethnographique pendant six ans sur la façon dont l’histoire américaine était enseignée et apprise dans une communauté à moitié afro-américaine et à moitié blanche. Les résultats se sont révélés à la fois prévisibles et imprévisibles : les enfants et les adolescents afro-américains voyaient la violence raciale et l’exclusion chronique de l’exercice de leurs droits comme des thèmes structurant l’histoire nationale alors que les élèves blancs des mêmes classes avaient appris que l’inégalité raciale (mais pas la violence) et l’expansion progressive des droits incarnaient l’essence du passé de la nation.
J’ai publié mes résultats dans Interpreting National History: Race, Identity and Pedagogy in Classrooms and Communities (Routledge 2009) et, six ans plus tard, je crois que les conclusions de ce livre sont toujours pertinentes. Partout dans le monde, les chercheurs travaillent sur des enjeux liés à l’identité et à l’histoire et nous avons acquis beaucoup de connaissances à ce sujet. Pour la plupart, ces études concluent que les enseignants et les textes présentent des perspectives « officielles » du passé, ce qui fait que plusieurs élèves issus de populations minoritaires se sentent désengagés et que tous les élèves sont mal informés. Pour diverses raisons, les enseignants hésitent à discuter de violence entre les groupes, n’ayant reçu par ailleurs qu’une formation minimale à ce sujet. Pourtant, certains enseignants ont le courage de plonger avec leurs élèves dans des « histoires difficiles », c’est-à-dire des histoires sur la violence entre les groupes et sur l’oppression, des histoires où les élèves s’identifient avec des acteurs historiques qui étaient des oppresseurs, des opprimés ou des observateurs.
Après la publication de mon livre, j’ai étendu ma recherche pour inclure la façon dont les enseignants qui étaient sensibilisés à ces environnements culturels présentaient les récits historiques de jeunes provenant de minorités visibles à faibles revenus. Tout comme les chercheurs menant des études similaires en divers contextes (voir le travail de Tsafrir Goldberg sur les adolescents israéliens et palestiniens), j’ai obtenu des résultats mitigés : d’une part, les élèves ont été intégrés dans l’enseignement des perspectives historiques portant sur l’implication historique des gens de couleur, quelque chose qui avait été rarement mentionné au début de l’année scolaire. D’autre part, les élèves avaient de la difficulté à accepter un contenu présentant des populations blanches opprimées ou alliées des populations de couleur. En général, cette recherche suggère qu’il est plus difficile de remettre en question les conceptions négatives des élèves sur « l’Autre » que d’influencer positivement leurs opinions sur les acteurs historiques avec lesquels ils s’identifient.
Grâce à une subvention Fulbright en 2013, j’ai mené une recherche sur des enjeux similaires en Nouvelle-Zélande avec mes collègues Mark Sheehan et Michael Harcourt. Les analyses préliminaires indiquent qu’il y a des différences importantes entre les perspectives historiques des adolescents maoris (autochtones) et celles des pakehas (néo-zélandais d’origine européenne). Lors de discussions sur l’importance du traité de Waitangi, le document fondateur de la Nouvelle-Zélande, les élèves maoris avaient beaucoup plus tendance à parler de situations de conflits ou de violences que les élèves pakehas. Malgré différents discours nationaux sur le statut du traité comme document fondateur de la nation, les deux groupes d’élèves croient que ce traité est important pour les Maoris, mais qu’il ne l’est pas pour les Pakehas ou les autres Néo-zélandais.
Plus récemment, Carla Peck (University of Alberta) et moi avons reçu une bourse AERA pour organiser un colloque international sur l’enseignement et l’apprentissage des histoires difficiles. Tenu en juin 2015, ce colloque regroupait 16 chercheurs internationaux en didactique de l’histoire, dont Peter Seixas (University of British Columbia) et Jennifer Tinkham (Acadia University). Carla et moi préparons la publication des actes du colloque.
Bien que nous ayons appris beaucoup de choses sur la façon dont l’identité des jeunes influence leur compréhension de l’histoire nationale, il reste encore de nombreux enjeux à explorer. Quels sont les rôles de l’éthique et des émotions dans l’enseignement et l’apprentissage d’histoires difficiles? Comment les enseignants et les textes peuvent-ils présenter des récits historiques plus inclusifs qui favorisent la discussion malgré les différences? Je continuerai d’approfondir mes connaissances sur ces sujets au fur et à mesure que notre domaine d’études progressera.
- Se connecter ou créer un compte pour soumettre des commentaires
- English