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Choc post-élections: Qu'est-ce que la classe d'histoire a à faire dans tout ça?

Posted by Marie-Hélène Brunet
10 September 2012 - 10:04am

Photo: Presse canadienne

Comme vous le savez certainement, le 4 septembre dernier, les électeurs québécois ont été appelés aux urnes. Un gouvernement minoritaire du Parti québécois avec comme Première ministre Pauline Marois, première femme à la tête de la province, va donc se mettre en place dans les jours qui viennent.

Mais l'événement qui a marqué, bien tristement, la soirée du 4 septembre est certainement l'attentat perpétré au Métropolis et ayant fait un mort et un blessé grave. La vitesse des réactions, des accusations, de la recherche de responsabilité pour ce qui est arrivé a été fulgurante; surtout sur les médias sociaux. Et voilà où c'est inquiétant. Si certains ont jeté le blâme sur Mme Marois, d'autres ont plutôt accusé les médias anglophones. Ce genre de réactions extrêmes ont parfois été dénoncées: cette façon qu'on eu certains de jetter le blâme de façon irrationnelle n'est-elle pas en elle-même le problème? Le texte suivant nous amène à réfléchir:

http://m.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/358768/nous-sommes-t...

Si le "tireur fou" était certainement dérangé, n'empêche qu'un examen de conscience sur ce qui a mené cet homme a commettre ce geste est à faire. Dans l'article cité ci-haut, on peut lire: "Ceux qui souffrent de psychose lisent tout en terme de symboles : les Français, les Anglais, les Femmes, les Hommes, par exemple, sans être capables de voir la personne singulière en arrière de cette image, puisqu’ils ont souvent été eux-mêmes des enfants réduits à des symboles par leurs parents. Il ne faut jamais laisser les représentations se figer. Et c’est ce qu’on a fait ces dernières années au Québec."

C'est ce qui m'amène à parler d'enseignement de l'histoire. Est-ce qu'il n'est pas commun dans les cours d'histoire, d'utiliser des catégorisations qui semblent "figées" ou "naturelles"? N'y a-t-il pas cette tendance à essentialiser les groupes: "anglophones", "francophones", "hommes", "femmes", "minorités culturelles", "autochtones", "Québec", "Rest of Canada". Si ce genre de regroupement semble nécessaire pour expliquer les mouvements sociaux et différencier les points de vue s'opposant dans l'histoire, n'y a-t-il pas là aussi un piège qui mène trop souvent à mettre des individus somme toutes bien différents dans un même groupe et d'uniformiser de façon exagérée l'expérience de ce groupe? Sommes-nous aussi, comme enseignants d'histoire, parfois responsables de ces "représentations figées"?

Vous en doutez? Voici des exemples que l'on entend parfois en classe, de la bouche des élèves, mais des enseignants aussi:

-"Les femmes ne travaillaient pas à l'extérieur de la maison avant la Deuxième Guerre mondiale. Les Québécoises faisaient beaucoup plus d'enfants qu'ailleurs au Canada."

-"Les anglophones du Québec ont dénoncé la loi 101, certains se rendant même jusqu'en Cour suprême."

-"Dans le Rest of Canada, l'Accord de Meech a suscité un rejet, on ne voulait pas en donner plus au Québec."

Chacune de ces affirmations est partiellement vraie, mais elle est aussi partiellement fausse. Cette situation n'est pas non plus le seul lot des enseignants. Les manuels ont aussi tendance à uniformiser l'expérience des groupes. C'est le constat de Lefrançois et al. (2011) qui suggère que l'usage de catégories englobantes a pour conséquence de "[polariser] les identités" (p. 78).

Très peu de recherches permettent de savoir si cela a un réel effet sur les élèves, mais on peut certainement y voir le danger de conforter les stéréotypes et les préjugés sur certains groupes. Une étude néo-zélandaise attire d'ailleurs notre attention (Alton Lee et al., 1993). Un chercheur a observé que lors d'une leçon sur les origines de la Ville de New York, un enseignant utilisait indistinctement les termes "explorateurs", "Blancs", "Européens", "nos ancêtres" et "nous" en opposition aux autochtones habitant ces terres avant l'arrivées des colonisateurs. En fin de compte, le chercheur observe que les dialogues entre les élèves de la classe d'origine caucasienne et un élève d'origine maori (aborigène) étaient marqués par un racisme renforcé inconsciemment par le discours de l'enseignant.

Il n'est pourtant pas simple d'éviter les généralisations. Alors que faire? Comment agir, comme enseignants d'histoire, pour éviter de généraliser l'expérience de certains groupes? Est-ce possible? Je vous lance la question et j'ai bien hâte d'entendre vos réflexions!

Références:

Lefrançois, D., Éthier, M.-A., & Demers, S. (2011). Jalons pour une analyse des visées de formation socioidentitaire en enseignement de l'histoire. Dans M.-A. Éthier, D. Lefrançois & J.-F. Cardin (dir.), Enseigner et apprendre l'histoire. Manuels, enseignants et élèves (p. 59-93). Québec: Presses de l'Université Laval.


Alton-Lee, A., Nuthall, G., & Patrick, J. (1993). Reframing Classroom Research: A Lesson from the Private World of Children. Harvard Educational Review(63), 301-337.